De Battre Mon Coeur S'est Arrêté, de Jacques Audiard (2005)


Faisant partie de ces œuvres dont il m'est difficile de parler, tant il se base sur la sensorialité d'un point de vue unique à tendance emprisonnante, celui du personnage de Romain Duris, dont à l’époque je ne connaissais la trogne affable que dans des comédies, ce drame familial dans ma langue maternelle, aussi récit initiatique filmé avec brio et ambiguité dans un écrin néo-noir, fut une expérience révolutionnaire dans ma cinéphilie et un véritable choc lorsque je le découvris sur grand écran à 17 ans.

D’ordinaire habitué aux thrillers se déroulant dans des décors états-uniens et à la langue anglaise qui s'associe facilement au genre du polar, j’entraperçus, à travers la verbalité riche et évocatrice des personnages, un Paris âpre, territoire impitoyable en proie à une réification consommatrice des relations interpersonnelles et à une crise du logement qui ne dit pas son nom. Dans cet univers cruel où l’homme est un loup pour l'homme (selon l’adage de Hobbes), Tom, d’abord enragé et assoiffé par l'adrénaline, le gain et l'aval d'un paternel égoïste qui lui fait porter des responsabilités qui ne lui incombent pas, louvoie entre criminalité et accès de tendresse. Ses explosions physiques et verbales, réponses déterministes au milieu viril, masculiniste et toxique dans lequel il évolue, traduisent la lutte qu’il entreprend pour s’extirper d'un milieu qui n'aura malheureusement de cesse de le rattraper, malgré son espoir de faire le deuil de son orphelinat symbolique autant que de facto, et malgré ses efforts pour créer des connexions authentiques avec les autres.

Seul face à un destin sur lequel il aimerait avoir la mainmise, Tom, vêtu de cet ensemble chemise-blanche-cravatte-noire-veston-de-cuir-bottines rappelant la classe d'un Delon chez Melville, trouve refuge dans la musique, comme en attestent son casque audio filaire pendant ses déplacements et le sound system qu'il a encore chez lui. Comme si Tom n’avait jamais coupé le cordon qui le relie à sa mère pianiste décédée, son isolement dans une bulle protectrice se transforme rapidement en rupture avec une conjoncture qu'il se met à exécrer. 

Alors que l’étau de la rétribution se resserre sur son escroc de père, Tom, dont le capital sympathie dessiné par détails sporadiques compense ses méfaits et permet au public de ressentir de l'empathie pour lui (toute proportion gardée), va muer du statut de petite frappe minable et abusive (comme ses acolytes pseudo-amis et son père), pour devenir un individu autonome, qui s'évertuera progressivement à affirmer, par exemple, que non, il ne continuera pas de couvrir l’adultère de son pote, non, il n'est pas tranquille avec le délogement de SDF à coups de batte et de sacs de rats, non, il ne sort pas indemne du passage à tabac que son père lui impose, non, il n'est pas satisfait des quelques miettes d’égards que son paternel veut bien lui octroyer.

Indéfectiblement lié à la musique, Tom va naturellement parvenir pas à pas à concrétiser ses vélléités de liberté par le côtoiement des femmes qui, quoi que survolées dans leur développement par un Audiard qui circonscrit la narration aux seuls ressentis de son anti-héros, lui servent de contrepoint et de porte de sortie potentielle face à ses pairs masculins absolument pas recommandables. La féminité sensible du personnage le dispute à des retours à la bestialité qui ne quittent pas le film même après son générique de fin.

En apaisant ses pulsions basses et misogynes à travers le reprise du piano, délaissé depuis le départ de sa mère, en surpassant ses fêlures et sa culpabilité, Tom va museler ses relents névrotiques les plus primaux et forger lui-même la clé qui le fera entrer dans un âge adulte fondé sur le respect d’autrui, mais aussi de lui-même. 

Tout cela pour que le hasard chaotique de l’univers balaie d'un revers le cheminement de croix de Tom, en lui faisant croiser la route d'un nemesis dont il ne peut se résoudre à laisser la peau indemne - le cycle de la violence choquant et hantant ce spectateur-ice par son esthétisation tragique.

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