Ceci N'est Pas Un Film, de Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb (2011)
Assigné à son domicile, en attente de son procès en appel (jugement de 6 ans de prison, de 20 ans d'interdiction de filmer et de quitter l'Iran), Panahi contourne ces contraintes avec l'aide d'un collègue, qui va le filmer le temps d'une journée et dans l'espace limitant de son domicile, impulsant une projection renégade dans l'activité filmique qu'ils sont littéralement empêchés de réaliser.
On découvre le réalisateur prendre son petit-déjeuner, s'habiller, passer/recevoir des coups fils, lire un de ses scénarios en structurant le filmage de ses premières scènes à même son salon, extraits d'autres de ses films en DVDs à l'appui. Ainsi, Panahi saisit l'opportunité d'expliquer son rapport aux acteur-ices amateur-ices qui guident ses choix de mise en scène, plutôt que l'inverse. On l'écoute se languir de ne malheureusement plus pouvoir mettre en boîte les décors naturels qui font la sémantique de ses métrages.
Grâce à son téléphone portable et son PC connecté à Internet, technologies en uniques recours auxquelles il se rive autant pour alimenter le lien avec autrui que pour faire perdurer le mouvement nécessaire à la poursuite de sa création, le réalisateur rend palpables des fragments du quotidien iranien: par les appels informels avec ses interlocuteur-ices, les maigres interactions avec ses voisin-nes, l'ironie rhétorique partagée avec son collègue, mais aussi à travers des moments éminement banals (recevoir une livraison, s'occuper de son iguane de compagnie, fumer une cigarette), on assiste à l'existence muselée d'un Panahi relégué au rang de simple quidam.
Mais comme il n'en est pas réellement un, l'artiste en lui cède rapidement à la colère sourde mêlée d'un agacement liés à son isolation et au couperet qui pèse sur le moindre de ses actes. Il suspend l'imagination de son script pour revenir à l'instant présent, le jour de la Fête du Feu (célébration païenne rendue illégale par le régime): de son balcon, on entend feux d'artifice et allumage de brasiers, dont il capture l'audiovisuel avec son téléphone portable, dans un geste méta au montage rebelle, un contre-champ qui subvertit sa prohibition à filmer directement et légalement le réel.
Dans une scène finale de montée/descente d'ascenseur où il accompagne l'homme-poubelle de son immeuble (également étudiant en arts et en cinéma), Panahi accomplit un dédoublement de sa liberté d'expression. Ponctuant ce documentaire auto-réflexif par un suspense caméra à l'épaule, où il s'aventure avec danger jusqu'au porche donnant sur la rue d'où on aperçoit un homme alimenter un bûcher, s'opposant donc la loi, l'artiste brandit hautement et fièrement son appareil, avant un générique qui rend sobrement hommage à tout le monde anonyme auquel le régime refuse une voix/voie autorisée à circuler.
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