Interview musicale: Blind Girls @ Glazart (Paris) - dimanche 20 avril 2025

A l’occasion de leur passage à Paris en ouverture de Pageninetynine, un concert organisé par les collectifs Headache Booking, Le Sheitan DIY, El Mariachi DIY Shows, et Gutter Melodies, j’ai pu m’entretenir par email avec le groupe australien BLINDGIRLS. Voici le fruit de nos échanges. 

[English version for the interview upon request @ Ruby Forever Diamond via DM)


Etait-ce votre première fois ce soir à Paris ? Si oui, c’était comment ? Si non, comment c’était la dernière fois, et qu’est ce que ça fait d’être de retour ?

[BEN] C’était ma première fois à Paris ! Idem pour Luke. Ceci dit, Sharni avait déjà visité, et pendant cette tournée en Europe et en Grande-Bretagne, on est accompagné par Giacomo de Ø J N E en tant que remplaçant à la guitare et Nic de Frail Body à la basse, et ça n’était pas leur première tournée à Paris.

Le nom du groupe a t-il une signification particulière? 

Non. C’était simplement deux mots que notre ancien bassiste avait suggérés et que nous aimions. Sharni a un handicap visuel, cela dit, donc depuis son arrivée, ça a acquéri une petite signification.

Est-ce que les membres du groupe ont changé à travers les années ? Cela a t-il eu une répercussion sur la direction artistique du groupe ? 

Actuellement, je suis le seul membre “original”. Cependant, à mon sens, j’ai la conviction que le groupe a vraiment revêtu sa forme réelle lorsque Luke Sweeney nous a rejoint en 2020. La direction artistique a gagné en cohésion avec son apport, il est super pour collaborer sur l’écriture et est très investi. Depuis un an, il y a eu un changement de membre, mais ça n’a pas eu d’incidence sur la DA, puisqu’il n’était pas tant que ça impliqué dans l’écriture. L’essentiel de ça est réparti entre Sharni au niveau des paroles et des tournures de phrases, et Luke, Julian et moi-même nous occupons de la composition. 

Y a t-il une scène screamo solide d’où vus venez ? Si ce n’est pas le cas, avez-vous l’impression d’être un peu isolés ?

Non, pas de scène screamo dans la Gold Coast (région métropolitaine au sud de Brisbane sur la côte est de l'Australie, ndlr). On se produit principalement à dans la ville locale, Brisbane. Je pense que la scène de Brisbane se porte bien comme jamais ; malgré tout, on vient de passer à côté des dates dans plusieurs salles de concert importantes qui d’ordinaire accueillaient des concerts de screamo et assimilés, ce qui est dommageable. Cela dit, du fait que l’Australie est beaucoup moins peuplée, on a l'habitude de jouer lors de concerts qui mêlent différents genres. Partant, j'ai l'impression que la scène ‘screamo’ fait partie d’un élargissement et se mélange avec des sous-genres variés. 

Pour ce qui est de l’isolement, je trouve que c'est vraiment quelque chose qui a affecté notre capacité à faire des live pour un public plus large. Mais je ne peux pas dire que c'est encore le cas, maintenant qu'on a eu le plaisir et le privilège de jouer partout en Australie, aux États-Unis, au Canada, et maintenant en Europe et en Grande Bretagne. Géographiquement, c'est clairement difficile et onéreux. Mais peut-être que ça s'est avéré bénéfique à un certain point, eu égard à l’attention qu'on reçoit à l’international, parce qu'on fait partie d'un océan de groupes davantage homogène.

Est-ce que vous considérez le groupe comme particulièrement australien, ou bien cherchez-vous plutôt l’universalité ?

C'est une question intéressante. Avant, je me sentais quelque peu honteux d'être ‘australien’, à cause des stéréotypes à la con et au racisme crasse qui s'est opéré et qui continue encore aujourd'hui. Mais plus on fait des tournées, plus on a pris conscience que c'est la merde partout. Le côté positif, c'est qu'il y a des gens dans chaque pays, chaque ville, qui partagent nos valeurs et avec lesquels on s'entend à ravir, ce que je trouve précieux. En ce moment, le fait est qu'on est en en tournée avec des Américains, des Italiens et notre chauffeur Tomi qui vient de Croatie, on s'entend parfaitement. Ça n'a pas tant à voir avec nos origines, mais plutôt c'est en lien avec la manière dont on fait les choses. Mais choyer notre background culturel constitue quelque chose de très cool (tant qu’il n'y a pas de forcing sur le bien-être d’autrui).

Quels groupes de musique citeriez-vous en tant qu’influences? Vous sentez-vous inspirés par d’autres formes d’art? 

Musicalement, je dirais que nos bases sont La Quiete, Kings Girl, Lord Snow, et Beau Navire. Mais selon moi, on est inspirés par un panel beaucoup plus extensif de groupes et de musicien-nes, en particulier en terme de musique, d’artwork, et la manière dont on se présente en tant que groupe. Avec la manière dont notre sonorité propre s'est développée, plutôt que de vouloir faire de la musique purement inspirée par les sons qui nous ont influencés, les influences viennent de partout. Que cela soit la façon dont certains groupes performent live, leur façon de communiquer avec leurs pair-es, les écueils à éviter sur scène… La notion d’influence est tellement malléable, et c'est cette dimension qui nourrit notre enthousiasme à trouver les bonnes personnes avec lesquelles faire de l’art.

En ce qui concerne les inspirations d’autres formes artistiques, je sais que Sharni puise beaucoup dans la littérature et le cinéma, comme Luke. 

Personnellement, je me sens totalement inspiré par un grand nombre d'artworks conçus par les artistes responsables du merch et des pochettes d’autres groupes. Sharni s'occupe aussi beaucoup de ça, car c'est une artiste visuelle de talent. 

Autant les artworks de vos albums et le contenu de vos paroles semblent faire la dichotomie entre la lumière et les ténèbres. Cela provient-il d'une vision binaire du monde, ou au contraire essayez-vous d’explorer le monde et ses zones d’ombre?

Honnêtement, en général, on essaie simplement de produire des œuvres qui nous représente bien aux niveaux sonore et visuel. J'ai conçu la pochette de notre premier album ‘Residue’ (2018), en me réappropriant d’autres designs pour constituer au final quelque chose qui représente bien l’ensemble des morceaux. Les visuels de ‘The Weight Of Everything’ (2022) sont initialement une photo vue sur Instagram par l’intermédiaire d'un ami de longue date du groupe, également artiste. La pochette de ‘An Exit To Exist’ (2024) est une photo prise par un de mes amis avec un iPhone 8. Les deux fois, alors qu'on était en phase de recherche et de brainstorming pour trouver des designs, j'ai proposé ces images, et tout le monde est tombé d’accord à l’unanimité: elles étaient les bons choix. J'imagine qu'à travers nos expériences de vie à toutes et tous, on explore les zones d’ombre de l’existence dans l’ADN de notre musique, et si les artworks qu'on a choisis d’utiliser corroborent ça, alors on croise les doigts pour que ça fonctionne! 


Vos paroles sont en partie construites sur des explosions d’adjectifs, de noms et de verbes qui sont parfois indéchiffrables. Associez-vous cela à de la poésie déstructurée? Est-ce que ce style d’écriture provient d'un sentiment d’urgence?

Je n'ai écrit aucune des paroles du groupe, alors je vais laisser Sharni développer: [Sharni] clairement je fais en sorte que les paroles restent cryptiques. Elles ont un sens spécifique pour moi, et j'aime à penser que les auditeur-ices y trouveront une interprétation qui leur sera personnelle en tant qu’individu-es singulièr-es. Le dernier album est peut-être davantage direct et franc du collier. 

Vos paroles traitent du langage et expriment à quel point c'est difficile de prendre la parole. Comment gérez-vous l’aphasie, et pensez-vous que c'est une des raisons pour lesquelles le groupe est autant impliqué dans la question de la santé mentale ?

J'ai demandé à Sharni de répondre aussi à cette question, mais elle n'a pas su quoi en dire.

Considérez-vous vos instrumentations chaotiques? Le cas échéant, comment se passe votre processus d’écriture ? Si non, comment décrivez-vous votre patte sonore à un-e auditeur-ices qui ne connaît pas encore votre musique?

Oui, chaotique est un bon qualificatif pour décrire nos instrumentations. On compose les morceaux de manière conjointe depuis l’arrivée de Luke. Avant, c'était en général Julian qui pondait des riffs, et je me chargeais de les arranger avec les sections rythmiques ou des suggestions sur des passages de guitares, etc. afin d’obtenir ce qu'on souhaitait. Depuis que Luke a rejoint le groupe, il produit des chansons-démos complètes. Bien sûr, une fois qu'on se met à les performer, ça évolue et on bidouille en groupe de temps en temps pour mettre tout ça en œuvre, pour créer un impact différent de quand on joue les instruments en ‘live’, ce qui contraste avec les démos faite avec DAW (logiciel, ndlr).

Si vous pouviez passer votre musique dans un film, en intra ou extradiégétique (dans ou à l’extérieur de la narration, ndlr), ça serait quel film, ou bien de quoi parlerait le film, à quoi il ressemblerait?

Je vais appeler Luke en tant au joker pour répondre à cette question, vu sa connaissance solide en cinoche.

[Luke] Ça serait un rêve inouï que notre musique soit utilisée dans un truc comme des enfers, genre Mad God de Phil Tippett (2021). Selon moi, son usage de l’imagerie apocalyptique se fonderait super bien avec notre musique et le fait que le film est essentiellement un plongeon dans le vide infernal correspondrait bien thématiquement avec notre dernier album.

Avez-vous des films et des cinéastes préféré-es?

[Luke] Plutôt que de faire du bruit de crécelle en bamançant des noms, je vais faire la liste de films que les gens devraient regarder selon moi, en écoutant Blind Girls:

° 大菩薩峠 (VF: Le Sabre du Mal, réalisé par OKAMOTO Kihachi, 1966): un film japonais sur la descente progressive d'un samurai dans la folie plus il commet de meurtres jusqu'à la mort 

° The Nightingale (Jennifer Kent, 2018): un film australien où une prisonnièrz irlandaise s’associe à un homme aborigène afin de se venger des soldats britanniques qui s'en prenne à elle de manière sauvage

° La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995): le film français où trois jeunes gars errent dans les rues de Paris qui cherchent à déterminer si un de leurs amis a survécu à des violentes émeutes anti-police la nuit précédente. Un mélange béton d’énergie ACAB (slogan anglophone All Cops Are Bastards, ndlr), de vengeance et exsudant la fin du monde.

Remerciements chaleureux à toute l’équipe de Blind Girls pour leur temps, leur énergie, leurs réponses, et le super concert qu'ils nous ont proposé ce soir là.


[Interview rédigée et traduite de l’anglais par Ruby]

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