L’Evaporation de l’Homme (人間蒸発, Ningen jōhatsu), de IMAMURA Shōhei (1967)

Premier long-métrage documentaire réalisé par IMAMURA Shoh, qui n’a pas encore réalisé les œuvres qui feront sa gloire internationale, mais fort du déjà reconnu La Femme Insecte, A Man Vanishes est un étrange songe de cinéma masquant les frontières entre réalité et fiction.
Une expérimentation-pivot qui poursuit d’anciennes lignes de pensées du cinéaste, la guerre et les répercussions post-WWII, et ouvre de nouveaux axes visuels et narratifs.
Quelques années, si ce n’est décennies, avant La Ballade De Narayama, Pluie Noire et L’Anguille, IMAMURA Shohei part à la bordure, où les âmes s’échappent, où l’inconnu débute. L’espace où la conscience s’évade.

ATTENTION: cette chronique contient des spoilers.

Présenté hors compétition à la 18ème édition du Kinotayo, Festival du Cinéma Japonais Contemporain à Paris, voilà un bien curieux métrage que L’Evaporation de l’Homme (人間蒸発, Ningen jōhatsu)
Dans le Japon des années 60’s en proie à une modernisation à marche forcée, on assiste au tournage de talking heads, on suit des personnes qui, de près ou de loin, ont connu, croisé, entraperçu OSHIMA Tadashi, le disparu éponyme.
Caméra à l’épaule ou en plans fixes, un groupe de documentaristes semble retracer la route de cet individu volatilisé, avec l’aide de sa famille, de ses amis, de ses collègues, notamment un patron prolixe en digressions philosophiques sur un art de vivre frugal et reconnaissant envers les aînés.
Une certaine dimension sociale se dessine à mesure que les langues se délient, tissant un maelström homogène de souvenirs, d’aveux, d’expressions de doutes et de regrets, dans lequel naviguent avec difficulté mais ténacité des citoyens lambdas.
Marqués par une sorte de mélancolie non-identifiée, les lieux, découverts au gré de discussions-fleuves, en intérieur et en extérieur, permettent au/à la regardant-e de se faire une idée du quotidien d’une époque capturée par la force des images. Souvent confessionnelles, tour à tour émouvantes et déstabilisantes, les prises de parole construisent un élan narratif autour de l’absurde phénomène qu’est la disparition, où le traitement du son (lors de transitions stridentes, sursautantes, à travers des défauts de synchronisations creusant un fossé organique entre l’ouïe et la vue) participe à l’exploration de la société japonaise avec un ton inédit. 
En se laissant bercer par les mots/maux, les spectateur.ices progressent à tâtons, comme l’équipe de tournage, glanant des bribes de récits, des photos, des pistes plus ou moins vaines.
La temporalité des trois quarts du film semble linéaire, comme une entreprise d’enquête, puis bascule dans un fracas méta et s’attelle à lorgner vers une réflexion sur l’art de raconter une histoire, ou l’Histoire avec un grand H, ou enfin des histoires, dans ce qu’elles traduisent d’un esprit collectif universalisant. 
On se rend compte que non, là où on se trouve, dans cette « pièce », mais surtout dans les interstices d’une fabrication fictionnelle, le réalisateur nous a perdu, comme tant d’autres de ces personnes évaporées. Le documentaire apparent se mue en combat entre le dire, le faire et le savoir. 
A Man Vanishes est un film errant, astucieusement construit tel une chute vertigineuse du bord des apparences qui nous force à plonger dans le gouffre d’une réalité insaisissable, une proposition expérimentale et avant-gardiste, qui demande de s’accrocher à une certaine idée du cinéma : celui de la vérité, cette notion fuyante qu’il convient de bâtir comme un château de carte sans cesse sur le point de s’écrouler. 
Ce-tte spectateur-ice a apprécié la qualité de la copie, le travail de sous-titrages de fond, les trouvailles visuelles et reste convaincu d’avoir vu un témoignage significatif sur un fait de civilisation méconnu: un Japon en lutte entre alcoolisme et spiritualité, simplicité et souffrance, tradition et modernité, théâtre et commentaire, singularité (l’Homme) et pluralité (L’Evaporation de l’Homme au cœur du récit cachant en fait la multiplicité des escamotés). 
Film connexe: Johatsu – Into Thin Air 『蒸発』, d’Andreas Hartmann et MORI Arata (2024)

Intro et relecture: Kinowombat/QT

Commentaires

Articles les plus consultés