Bleeder, de Nicolas Winding Refn (1999).

Chronique d'un film-culte découvert à sa ressortie en salle, et revisionné en Blu-ray avec l'édition La Rabia lors d'un Movie Time entre ami-es.

Le film a fêté ses 25 ans.

Lorsque Nicolas Winding Refn, après qu'il a eu créé sa propre société de production dans un souci de garder son indépendance, présente Fear X (VF: Inside Job) en ouverture de l'Étrange Festival en 2003, le public a en tête son deuxième film, Bleeder, réalisé en réaction à Pusher, son premier. Le réalisateur danois réalisera dans toute sa carrière chacun de ses films en réaction au précédent.

Bleeder est un film qui me parle. Sa galerie de personnages, réunis dans une clique de 6 qu'on découvre à travers différentes chansons préexistantes, rappelle la vibe rock de celle de Renton du Glasgow désabusé de Irwin Welsh, mis en scène par Danny Boyle 3 ans avant dans Trainspotting. Mais ici, on est à Copenhague. Selon Refn: une des villes les plus propres qui soit.

C'est donc dans les bordures, où les graffiti côtoient les épiceries musulmanes et les fast-food de snack, que nous plonge le prodige danois, qui a fait ses armes aux États-Unis en apprenant l’acting. Sa direction d'acteur-ices est d'ailleurs hallucinante de précision et d’intensité.

Bleeder annonce de grands films sociaux comme ceux qui filment la misère sociale et parfois intellectuelle de leur temps (e.g. This is England de Shane Meadows, 2006). Mais à Copenhagen, pas de Ska, juste du Black Metal et des chants d’église.

Dans son entreprise de faire un thriller new-yorkais à la Mean Streets, Refn mêle la gravité d'un documentariste à la légèreté des comédies expérimentales dont Clerks de Kevin Smith (1994) est une des pierres angulaires. Cette hybridité se retrouve dans le personnage de Lenny, campé par un Mads Mikkelsen incendescant, vendeur en vidéo-club aux relents de Gaspard Noé avant l'heure. C'est là que le film bascule réellement vers le culte: il devient un film sur des gens qui regardent des films. Tout est codifié dans la cinéphilie qui irrigue chaque scène: ça se mate du porno comme ça mate Flesh For Frankenstein de Paul Morrissey (1973). On est dans le sordide, mais glacé par le filtre d'une caméra clinique, qui compose des plans en rouge et noir, les ténèbres et le sang.

Bleeder est un film malade, mais d'une vivacité intense. C'est l'acte d'un cinéaste qui pour son deuxième film, voulait prouver au public et à la critique qu'il ne pouvait se satisfaire de refaire un thriller coup-de-poing à la Pusher. Pourtant, c'est ce que crut tout le monde à sa sortie. Provoquer ce contre-sens est exactement l'intention de Refn quand il produit Bleeder: désarçonner, comme son compatriote Lars Von Trier.

Exploration sans concession des ravages du mal dans les sociétés capitalistes, Bleeder est une déclaration d'amour au cinéma, à la toute-puissance du geste artistique. Ses intérieurs suffocants et ses rues désaffectées combinent fiction et réalité dans un crescendo d'une maestria absolue. Le crime ultime commis mériterait de figurer parmi les scènes de règlement de compte les plus psychologiquement dérangeantes qui aient jamais été filmées.

Et n'oubliez pas: “Pas de Bleeder, pas de Drive.”

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