Interview avec Neil Marshall (réalisateur), depuis le PIFFF (décembre 2024).


Le PIFFF 2024 a été marqué par un véritable petit événement : un retour sur l’oeuvre mouvementée de Neil Marshall.

Au fil des années, et désormais décennies, le cinéaste est devenu un créateur polymorphe traversant les genres et les expérimentations, à la lisière du bis, s’installant progressivement dans un carcan de cinéma d’exploitation, écho des années 80, préférant l’organe au numérique, l’artisanal à l’industriel.

Un fil de cinéma, bien que tumultueux et parfois boiteux, qui touche intimement le coeur de l’équipe Kino Wombat de par son honnêteté.

En pleine jungle d’images, RUBY, a trouvé un interstice, une faille entre deux Max Linder pour approcher ce légendaire Neil Marshall.
Un moment suspendu marquant du côté de Kino Wombat la toute première interview en présence d’un réalisateur. C’est un pas insignifiant pour le cinéma, mais un pas de géant pour notre site.

Merci au PIFFF. Merci à Neil Marshall. Merci à l’agent spécial RUBY.


[RUBY] Merci de vous entretenir avec moi pour ma première interview avec quelqu’un du milieu du cinéma.
Dites-moi, qu’avez-vous ressenti en montrant à nouveau The Descent sur grand écran hier, dans une copie en 35mm, presque 20 ans après sa sortie?

[Neil Marshall] En tant que cinéaste, c’est un privilège ahurissant de pouvoir simplement parler d’un de tes films 20 ans après l’avoir fait, sans parler du fait qu’il soit projeté dans des festivals pour célébrer ses 20 ans, vous voyez?
J’adore ça, la projection en 35mm, trouver la copie. C’est formidable.

[RUBY] En 2002, vous réalisiez votre premier long métrage, que vous appelez “un film de soldats avec des loups-garous”, et non pas l’inverse.
Aviez-vous fait des recherches ou aviez-vous visionné des films militaires pour écrire Dog Soldiers?

[Neil Marshall]
Oui, tout à fait.
J’ai une historique militaire dans ma famille : mon grand-père s’est battu pendant la Première Guerre Mondiale, pour tout vous dire, et mon père a été dans l’armée au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale. J’ai donc grandi avec leurs histoires. Surtout, je les écoutais parler de l’humour qui y était attaché et qu’ils partageaient. Ces histoires avaient tendance à être drôles, et je m’en suis inspiré.
Mais j’aimais les films de soldats, les films de guerre, ce genre de choses. J’ai donc voulu combiner mon amour pour le cinéma d’horreur avec mon amour pour les films de guerre.

[RUBY] Je comprends. Dans le même film, il y a une scène d’histoire autour du feu, qui fait office d’annonce de ce qui vient ensuite.
John Carpenter a fait la même chose au début de The Fog (1981).
Avez-vous personnellement entendu ou écouté des histoires pareilles, ou s’agit-il d’un super trope narratif ?

[Neil Marshall]
Hm, eh bien, ça a certainement été inspiré par cette histoire autour du feu de camp dans The Fog.
Cette anecdote de carrière que Quinn raconte, ce monologue, servent un peu à donner chair aux histoires personnelles des personnages. Et bien que j’aie inventé ce récit, beaucoup de ces éléments proviennent de mes recherches.
J’ai fait beaucoup de recherches et lu beaucoup d’ouvrages sur le domaine militaire. J’ai pioché plusieurs petits éléments là-dedans et je les ai incorporés dans le scénario.

[RUBY] Contrairement à deux films de loups-garous que vous citez en tant qu’inspirations, An American Werewolf in London et The Howling (1981), les scènes de transformations lycanthropes ont lieu hors-champ.
S’agissait-il d’une question de budget ou vous êtes vous dit que vous alliez faire confiance à l’intelligence du public pour qu’ils et elles s’imaginent les transformations à leur façon?

[Neil Marshall]
C’était totalement budgétaire. J’avais 11-12 ans quand Le Loup-Garou de Londres et Hurlements sont sortis. Et je les ai vus à l’époque ! Je pense que lorsque vous découvrez un film à cet âge-là, ça vous marque profondément.
C’est en voyant ces films que j’ai développé cet amour pour les films de loups-garous, les transformations et les effets spéciaux de maquillage qui vont avec.
Avec Dog Soldiers, je savais que je n’allais pas avoir le budget pour faire une transformation. Et même si ces films sont top, j’ai décidé de ne pas avoir recours aux effets spéciaux par ordinateur (CGI), notamment parce que, si je me souviens bien, je venais de voir Le Loup-Garou de Paris (Anthony Waller, 1997, ndlr). Je me suis dit: “Honnêtement? Les CGI dans ce film sont super moches. On ne peut pas faire la même chose. Quelle est donc la meilleure décision? Eh bien, faisons dépendre ça de l’imagination.
C’est le meilleur effet spécial qui soit.

[RUBY] Le personnage de Kevin McKidd dans le film cite Zabriskie Point (1970) et sa scène d’explosion. N’ayant pas vu ce film d’Antonioni, pouvez-vous nous en dire quelques mots?

[Neil Marshall]
Pour la faire brève, c’est un film sur lequel je suis tombé par hasard pour la première fois tard un soir à la TV britannique. La fin est monumentale.
Le film dure, et dure, et dure et soudain cette maison explose, tout simplement.
C’est filmé avec une quantité incalculable d’angles. C’est la scène d’explosion la plus somptueuse, la plus généreuse, la plus esthétique, la plus belle que j’ai jamais vu. Elle me fascinait. Et je me suis dit: “Ça ne serait pas original si une poignée de soldats faisaient une référence cinéphile obscure à Antonioni?” Ça a un côté décalé, j’adore ça.
Et ça suggère aux spectateur.ices de se demander: “C’est quoi, Zabriskie Point ?” Peut-être que ça leur donne l’envie urgente de le découvrir, de faire une recherche dessus.

[RUBY] Dans le film, le surnom d’un personnage, c’est Spoon (= cuillère en VF, ndlr). Et à un moment, quelqu’un dit: “There is no Spoon” (= la cuillère n’existe pas, sous-entendu Spoon est mort, ndlr). Est-ce une référence consciente à The Matrix (1999) ou bien est-ce une coïncidence?

[Neil Marshall]
C’est totalement délibéré, mais certain.es ont pensé que j’avais créé le personnage de Spoon dans le seul but de faire la blague. C’est faux. Son nom complet, c’est Witherspoon. Son pseudo est devenu Spoon. Et c’est au moment de la rédaction du scénario qu’en y pensant, j’ai pensé: “Il s’appelle Spoon. C’est dans Matrix. Pourquoi pas faire une private joke?” C’était une blague un peu random.

[RUBY] Beaucoup de vos films ont des petits budgets, se font avec des effets spéciaux pratiques, sont tournés en décors naturels. Vous employez également vos ami.es, vous avez écrit la plupart des scénarios de vos films.
Pensez-vous qu’un bon film repose sur ces paramètres-là, ou y a t-il d’autres ingrédients?

[Neil Marshall]
J’ai écrit tous mes scénarios sauf un.
Il n’existe pas de recette pour faire un bon film, selon moi. C’est plutôt une question de timing pour réussir une prouesse, avec un facteur chance, et beaucoup d’autres facteurs. S’il existait une recette, on aurait droit à beaucoup plus de bons films. Je trouve que pour faire un film, c’est beaucoup une question de chance, un miracle de pouvoir rassembler tous ces gens au même endroit au même moment, et de mettre tout le monde d’accord sur une vision commune pour concrétiser l’ensemble.

[RUBY] Dans tous vos films, et bien que vous n’ayez jamais fait deux fois un film du même genre, vous vous évertuez à explorer le thème de la survie. Pouvez-vous nous expliquer cette propension que vous avez d’explorer ce sujet?

[Neil Marshall]
Que dire?
Ça m’intéresse depuis toujours. Je ne me considère pas tant en survivaliste, mais ce qui est sûr, c’est que je dois me préparer et réfléchir à tout ça.
J’ai grandi pendant la Guerre Froide, vous savez, ce sont des préoccupations en tant qu’adolescent, le péril atomique…
Par conséquent, la notion de survie a toujours été dans un coin de ma tête. Ça s’est traduit par des films, que j’adore. Ça m’a semblé évident d’en faire. Mais je m’intéresse aussi à jusqu’à où les gens vont aller pour assurer leur survie. J’adore lire des récits de survie.
C’est connu que les gens vont faire subir à eux-mêmes les pires choses, ou manger les pires trucs. Ils endurent les pires sévices, sous toute forme, dans le simple but de survivre. Ils se liguent les uns contre les autres, ou pas. Ça me fascine.

[RUBY] Parmi tous les super acteurs et toutes les supers actrices dans vos films, avez-vous un top 3 des performances que vous trouvez qu’elles mériteraient davantage de reconnaissance?

[Neil Marshall]
Bonne question. J’ai tendance à penser que beaucoup de performances dans mes films sont géniales. En particulier, Shauna Macdonald et Natalie Mendoza dans The Descent ont livré des compositions incroyables. J’adore Sean Pertwee et Kevin McKidd dans Dog Soldiers. Je trouvé qu’en tant que rôle féminin puissant, Rhona Mitra est géniale dans Doomsday.
Olga Kurylenko a fait un travail formidable dans Centurion, sans même prononcer un mot. Pas mal de ces rôles sont sous-côtés.

[RUBY] Vers 2010, au lieu de réaliser le film Predators (finalement réalisé par Nimród Antal, ndlr), vous avez fait le péplum Centurion. Même si on sent le plaisir que vous avez pris lors de cette expérience, est-ce que ce projet Predator avorté peut expliquer pourquoi vous avez choisi de réaliser votre propre version de Hellboy, un personnage sûrement aussi iconique que le Predator?

[Neil Marshall]
J’avoue que j’aurais préféré adapter Predator.
J’ai failli travailler sur 2 films de cette saga à l’époque, au point de passer une audition avec Robert Rodriguez (producteur, ndlr).
Après Centurion, j’ai travaillé sur des séries TV pendant 9 ans. Mais j’essayais de travailler sur des longs métrages, y compris Predator. Et la seule raison pour laquelle ça n’est pas arrivé, c’est qu’on m’a proposé Hellboy après cette période de 9 ans. Ça allait être mon plus gros projet.
On m’a dit que ce qu’on attendait de moi, c’était une version horrifique d’Hellboy.
Et c’est ce que j’ai été en mesure de faire. J’ai été un peu bête et j’ai saisi cette chance, en ne prêtant pas attention au fait que le scénario était assez mauvais, et en pensant que je pourrais peut-être l’améliorer. Ça n’a pas marché, avec le résultat qu’on connaît, ce qui est dommage, car il y avait du potentiel.
Pendant longtemps, j’ai eu du mal à comprendre la loyauté envers les versions de Del Toro, car la critique la plus sévère que j’ai reçue, c’était que ma proposition était abominable et que Guillermo aurait dû être à la réalisation. Dur de lutter contre ça. Mais c’est malgré tout un film en soi. Ça n’a rien à voir avec Guillermo. L’existence d’Hellboy précédait la hype de Del Toro. Cet univers fait partie d’une propriété intellectuelle. On a donc un peu essayé de retourner aux racines, et le film est ainsi. J’ai quand même essayé de faire mon propre film.

[RUBY] Comment expliquez-vous votre attrait pour les tournages en Écosse?

[Neil Marshall]
J’ai grandi pas très loin. J’y ai passé beaucoup de temps en vacances. Ça m’a beaucoup inspiré. La Grande-Bretagne n’est pas un très grand pays. Il n’y a pas beaucoup de nature, hormis les highlands écossais. J’ai donc toujours été attiré par ces espaces sauvages et désolés à ciel ouvert. J’ai toujours trouvé que la nature avait des propriétés réparatrices. C’est donc une grande source d’inspiration. C’est magnifique là-bas.

[RUBY] Avez-vous en cours des projets de nouveaux longs métrages?

[Neil Marshall]
Je travaille sur un certain nombre de projets. Le plus important actuellement est l’écriture d’un scénario d’invasion alien pendant la 2nde Guerre Mondiale. Si je dis ça, les gens vont penser: “Oh, Il faut sauver le soldat Ryan mélangé à Independence Day”. Ce n’est pas ça du tout. C’est plutôt Goonies mélangé à Gremlins mélangé à Attack the Block, mais ça se passe dans un village de pêcheurs pendant la 2nde Guerre Mondiale.

[RUBY] Merci à Neil Marshall pour son temps et ses réponses.

Coordination pour l'interview: Kinowombat/QT

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