Ick, de Joseph Kahn (2024)


Contexte de visionnage et notes d’intention:

Fort-e d’une première expérience de chroniqueur accrédité au FEFFS (septembre 2024), sous la bannière Kinowombat, quelle ne fut pas mon agréable surprise de recevoir confirmation d’une nouvelle accréditation pour pouvoir assister au PIFFF 2024 du mercredi 4 au mardi 10 décembre, devant le seul, l’unique écran du formidable Max Linder Panorama. 
Après un accueil de la part du cinéma, une présentation du responsable du festival pour remercier toutes les équipes, les sponsors, et un topo sur le fonctionnement de la semaine (séances cultes en 35 mm, films en avant-première et en compétition, courts-métrages, séances de minuit, sélection hors-compétition), Joseph Kahn, “membre de la famille du PIFFF”, clippeur / réalisateur de Torque (2004), et autres curiosités que je n’avais pas vues, vint sur scène dans un tonnerre d’applaudissements pour introduire en première française Ick, son nouveau métrage, pour ouvrir le festival:

“Avec ce film, j’ai voulu faire un film pour enfants, un film d’horreur pour toute la famille. Je fais ces films hors du système, de manière indépendante, avec mon propre argent principalement. J’ai pris conscience après Bodied (2017) que je voulais faire un film d’horreur, car on ne peut pas avoir 13 ans, regarder Dora The Explorer, et passer à Terrifier 3. Il doit y avoir un entre-deux.
Cependant, je réserve quelque chose pour les plus âgés, je veux dire les trentenaires et les quarantenaires: c’est un film qui va vous faire vous sentir vieux pour la première fois. Peut-être pas effrayant pour un public qui a vu beaucoup de films d’horreurs, il va vous faire flipper à cause de la musique pop que j’ai intégrée. Ça ne va jamais s’arrêter, vous allez entendre toute sorte de chansons que vous avez oubliées, et ça ne va jamais s’arrêter.”
Fin de la présentation, bande-annonce anti-bruit reçue avec le traditionnel “Non” d’un public s’enorgueuilissant d’être subversif (faussement), trailer du festival, puis début d’Ick. Début du bât qui blesse.

Problématiques et critique : 

- Un film d’horreur pour enfants ?
Non : Ick est un teen-movie d’horreur de fête, ou party horror. Sa dimension référentielle (The Faculty, American Pie, la série Stranger Things) n’a aucune valeur pédagogique.
L’action se déroulant autour d’un lycée, on retrouve des tropes qui auraient pu être exploités à l’avantage du film, mais traités de manière convenue: les profs vieux-gars, la découverte de la sexualité adolescente, l’alcool, les relations parents-enfants. Sauf que le film ne dit rien sur ces thèmes.
Peu impressionnant au niveau des frissons, Ick manque d’une tonalité réellement originale : on a plutôt affaire à une proposition pseudo-feel-good de nostalgie 80’s qui tente un pont avec 2024, avec la plante éponyme qui gangrène le pays, sans réellement poser de menace, avant que celle-ci n’accélère sa croissance et mette le bazar pour justifier le basculement vers le genre de la SF d’horreur, tout cela sans que je n’y aie cru une seule seconde.
Pourtant la cible de Joseph Kahn (fan d’horreur, fan de films pour enfants, fan des films entre-deux), je me suis senti profondément gêné de découvrir le vide intersidéral de ces 87 minutes inter-minables.

- Un film pour les trentenaires et quarantenaires?
Non : l’introduction montre certes l’évolution de Hank – fade Brandon Routh, dont le rôle dans Superman Returns (Bryan Synger, 2006) tient du chef d’oeuvre en comparaison -, de sa période lycéenne à son devenir de professeur. Mais le développement du personnage proche du néant, son statut de vieux gars cocu emo et in fine, les rires gras non-sensiques que lui a réservé le Max Linder Panorama, confinent de faire de ce héros en carton une personne antipathique, comme le public présent (bavardages pendant le film, ce à quoi quelqu’un s’est permis de crier qu’il s’en “battait les couilles” de déranger les autres).
J’en veux à Joseph Kahn d’avoir partagé ses intentions, car l’effet d’annonce est malhonnête: elle découle d’une certaine vanité de poseur/hipster qui tente le cool, échoue ridiculement, et tombe instantanément dans le mauvais goût, le cringe, bref: le mauvais nanar.
Le film certes indépendant de Kahn se grille de par sa sottise, avec surjeu permanent du casting, effets visuels d’une mocheté supérieure à un téléfilm de plateforme, une caméra clipesque lisible mais superficielle qui n’ose rien, hormis dégrader la rétine.

- Une réflexion sur se sentir vieux, avec une BO qui ne s’arrête pas?
Non : le film n’a aucune cohérence ni de point de vue. On passe de Hank aux adolescents, dans une tentative de film-chorale, mais Kahn est loin d’être Paul Thomas Anderson dans Magnolia. Avec l’incipit, il nous propose un prologue composé des hauts et des bas de Hank, avec des ellipses/jump-cuts temporel-les plutôt correct-es, le tout saupoudré de tubes pop-rock-emo (883 – Gli Anni Swing, Swing – The All-American Rejects, The Reason – Hoobastank, Lifestyles of the Rich and the Famous – Good Charlotte, Fall For You – Secondhand Serenade), balayant une décennie du personnage, entre 1998 et 2008, soit son parcours au collège et au lycée, puis cette période pourtant aussi intéressante que l’adolescence que constitue la young adulthood (+ ou – 18-25 ans).
La seule caractérisation à laquellle le-a spectateur-ice a droit, celle d’un jeune au parcours assez classique, qui a une peine de coeur, sombre dans l’alcoolisme en tant que jeune adulte, puis devient professeur de science dans le même établissement où il s’est fait boloss et en est devenu un, suscita une pitié crasse dans la salle de cinéma (rires moqueurs mentionnés ci-dessus).
Aucune autre chanson-madeleine pour trentenaire et quarantenaire n’intervient dans le reste du film, étant donné qu’il se passe en 2024, et qu’en l’absence d’un point de vue interne à Hank, eh bien on n’a pas d’accès à la nostalgie pourtant assez pertinente palpable dans les 8 premières minutes du film (qui auraient fait un court-métrage sympa ceci dit, mais non – Kahn s’imagine cinéaste).
On passe à une comédie involontaire et à un party-horror-survival atonal, chiant à vouloir prendre ses jambes à son cou pour vite quitter son siège, inesthétique au point de vouloir se crever les yeux, au propos inexistant. Pire, ce film censé “harceler” (“it’s going to be relentless”, dixit Kahn) les cinéphiles et les enfants dans le bon sens, le fait dans le mauvais sens: les adultes sont des débiles toxiques caricaturaux, les adolescents millenials sont des merdeux toxiques caricaturaux, de sorte que je me sentis intellectuellement et artistiquement insulté par la proposition. 

Fin d’analyse: 

Film aussi tautologique que son titre onomatopéique le véhicule, qui se ne se prend pas pour de la merde mais qui en est une énorme et bien puante, Ick est une expérience de festival sociologiquement intéressante, dans ce qu’elle traduit et trahit des phénomènes de hype et de clique entre-soi. Ce chroniqueur pense que le public a sincèrement apprécié (en attestent les applaudissements post-générique, les gens qui restèrent pour poser des questions, comme s’il y avait du mystère à décortiquer).
Ce n’est peut-être pas le film qui est effrayant en soi, mais la théorie qui peut en émerger: sous l’influence de la présence de Kahn, qu’on ne voudrait surtout pas vexer hein (il fait partie de la famille), et si Ick était symbolique, j’ai envie de dire symptomatique, de ce qui cloche dans le monde, en particulier celui du cinéma? 
Familial dans sa conception (petit budget, équipe resserrée, accueil en festival), mais gouffre qui se veut meta dans lequel les références tombent sans être respectées, correctement digérées, suffisamment conceptualisées, Ick est plutôt le chantier d’un réalisateur qui fait sa victime (“On m’a forcé à mettre du Hoobastank dans Torque, alors j’en ai mis dans Ick, car ‘Fuck’ Warner Brothers” – inconséquente ironie du hipster).
Dans les actes, seulement victime de son incapacité à faire un bon film de genre, Kahn perpétue activement et consciemment (il ne semble pas sot) le crime cinématographique et humain de parvenir à redéfinir l’affligeant sur grand écran.
“Horribilis rencontre American Pie”, diront certains, ici on trouve plutôt que Ick est la version fauchée et éclatée au sol du pire épisode de Stranger Things, et un pompage éhonté du style Robert Rodriguez, en très mal fait. 
Pendant le Q&A, une personne, qui qualifia les films de Kahn comme “divertissants”, lui demanda pourquoi il s’évertuait à rester indépendant et pourquoi une grosse boîte de production n’avait pas encore flairé le filon de potentiellement le financer. Il répondit: “je ne sais pas”.
Cette réponse brutalement honnête cristallise bien les problématiques évoquées ci-dessus: il n’y a rien à savoir, si ce n’est que Kahn se sent “différent”, produit des clips tous les deux mois pour gagner sa croûte, obtenir des contreparties/faveurs des gens pour qui il bosse afin de financer un film “service-rendu”, une fois tous les 7 ans.
Pathétique.

Conclusion:
Créé pendant le COVID sans en être une parabole, Ick se veut, de l’aveu de Kahn, métaphorique des questions de l’identité, des croyances qui divisent les individus. Un film bien intentionné en surface, donc, mais qui mériterait une mise à jour Letterboxd afin de pouvoir lui attribuer un zéro pointé.
Ce film de mauvaise foi et mensonger est le bide qu’il espère ne pas être. Passez votre chemin.

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