(keçkispasse?), de Pleymo (1999).


(keçkispasse?), de Pleymo (1999). Chronique d’un album-culte pour son 25e anniversaire.

Durée: 56.24 minutes

Tracklist: 
01- Yallah
02- Blöhm
03- Frakasse Smala
04- Silicone Liquid
05- Nawak (feat. Tony d’Enhancer)
06- Porn (feat. David d’Enhancer)
07- K-Ra
08- Cosmic Gros Pluck
09- Bigquick
10- Soukaripa
11- T.N.
12- BONUS TRACK : Millésime team (feat. Enhancer)
13- Vost

Après l’écoute du 2e album de Pleymo, Episode 2: Medecine Cake (2002), à une époque de fin de collège où, freak que j’étais, je cherchais à me libérer des phénomènes de cliques et de me démarquer de mes paires en tentant de dégoter de la musique de niche que ni les “rappeux”, ni les “métalleux” n’écoutaient, je me souviens parfaitement de la claque que fut ma découverte de leur premier album (keçkispasse?). Groupe fondateur de la Team Nowhere, riposte au Nu-Metal américain, les Seine-et-Marnais, avec leurs deux premiers efforts, firent office d’OVNI dans une scène musicale en quête d’une identité forte, avant de prendre un virage mainstream avec des sorties davantage pop-rock en 2003 avec Rock et en 2006 Alphabet Prison, puis ils s’arrêtèrent.  

Pleymo sonique:

Déjà versé aux albums de KoЯn, Deftones, Slipknot et Linkin Park, je trouvai en Pleymo une musique d’une lourdeur hardcore étonnante, d’une densité multi-couches et multi-facettes, dans une accumulation de lyrics rapées inventives quoi qu’inaudibles, de scream en veux-tu-en-voilà, une progressivité sludgy, une basse slapée souvent funky, deux guitares au cordeau, et une part belle accordée au DJ, dont les scratchs assassins quoi que typiques du genre feront école. Pleymo utilise les codes du Nu-Metal à la sauce de ce que les groupes de la Team Nowhere appelèrent eux-mêmes le Frenchcore, soit la recherche et la construction d’un son à la française qui s’inscrit dans une fusion tendance entre rap metal et métal alternatif, plutôt formelle que profonde. Dans une ambiance ivre d’altérations de la conscience, l’album est essentiellement superficiel, mais contient quelques fulgurances qui, dans une tradition moraliste satirique, cherche à allier fun et politique: dénonciation des ravages de la chirurgie esthétique dans Silicone Liquid (“les biatches se clonent, pleine de Silicone”), du patriarcat mascu-toxique et de l’industrie porno dans Porn, de la course effrénée à la surconsommation et du capitalisme dans Bigquick.

Le langage Pleymo:
 
Sans être forcément poétique, pâtissant de coquilles, de fautes d’orthographes et de grammaire, la linguistique hybride de cet album sert à provoquer la fête, la rébellion, la solidarité collective, l’expurgation d’un status quo, dans des morceaux abrasifs produits à l’arrache, revendicateurs, fortement pompée de la culture hip-hop (avec tout ce qu’elle implique de “pose”, de “kasdédi” et de featurings, notamment avec Enhancer, l’autre pilier de la Team Nowhere). Synthétiquement, la parole dans (keçkispasse?) procède comme suit: 

- rimes riches ou pour l’oreille: “faiblesse/bassesse”, “trop plein/rien/lien”, “dehors/torts/décors/dors”, “étrange/dérange”, “temps/faux-semblant”, “stylistique/cabalistique”, “chemin/train”, “cœur/leader”, “unité/liés”, “avatars/lascards”, “spontanée/dénudée/pleurer”, “différences/importances”, “nuit/bruit”, “bataille/détail”, “banal/anal”, “fuse/diffuse”, “vice/novices/glisse/supplice/kiff”, “craques/débarques”, “pale/freestyle”, “image/otage/visage/maquillage/mirage”, “bon sens/encense”, “peurs/malheurs”, “fabulations/embarcation”, “marques/patraques”, “couleurs/saveurs”, “culture/futur”, “critique/politique”, “obsolète/requête”, “star/clochard”

- allitératif: “s’en contrefoutant éperdument”, “c’est sûrement et seulement simplement la sale symbiose qui s’impose”, “Les antres sinistres où s'immiscent et grandissent les pires fabulations / Sur la destination de notre embarcation / Les insectes des sectes me débectent”, “Tout tout tout tout paraît si cynique / Signe que le déclic du fric sans cesse nous nique / Pourquoi toute cette panique / Tente de teinter ce monde qui paraît si ludique”, “quand le voile se baisse les barrières disparaissent”, “T’as cru mon gars qu’avec du hard-rocka, t’allais toucher des milliards des milliards de liasses / Ça me lasse mais laisse aller les notes salées”, “L’impacte des balles que j’déballe, remballes tes balles à dix balles”

- chiasmique: “la dynamique est claire, clairement j’éclaire ton chemin”,“ce passé, visionné, harcelé par un futur”, “Continue tes pleurs, mon ardeur ne fait qu'augmenter”

- énumératif/syntaxiquement parallèle: “une entité novatrice, la force motrice”, “divisés, organisés en crew décalés”, “faut pas qu’ça fasse de pli, j’veux plus qu’y ait de souci”, “on cherche à prouver, on tente de montrer, que même en français peut couler”, “c’est la fièvre et tu craques, c’est la bombe qui débarque”, “un futur égocentrique, pas de panique”, “sous la bannière Nowhere y’a plus d’frontière, à quoi ça sert de foutre des barrières? Sinon qu’à défaire l’atmosphère”, “T'as qu'à toujours dire le contraire et puis me la refaire à l'envers”, “déjantés, des cinglés, déréglés, frappés, toqués”

- sentencieux: “vous qui avez la foi, on vous le rendra”, “on s’ra jamais trop pour faire sonner le french core”, “le temps passe et le vice t’enlace”, “les femmes aussi peuvent s’envoyer en l’air avec plusieurs partenaires”, “ne cherche pas d’excuse, personne ne t’accuse”, “seule condition, rester simple et sans prétention”, “reste pas là à larver comme une plante, Team Nowhere représente”, “Le meilleur reste à venir, on n’a encore rien pu bâtir”, “Même bigquick fait les poubelles du quick!”, “un pour tous tous pour un pour tout brûler”

- oxymoronique (“vérités érronées”)

- néologismes (“foutre le soukaripa”, “putainement”)

Ces figures de style qui partent dans tous les sens sont complétées par un lexique fouillis dans un joyeux bordel:
 
- argot vernaculaire: “nawak”, “faire péta”, “cliqua”, “porcas”, “ramdam”, “tohu-bohu”

- mots arabes: “yallah”, “smala”, “souk”, “dawa”

- anglicismes: “toy”, “tribe”, “des mans”, “les lights”, “le crew”, “le soundtrack”

- verlan artificiel auto-dérisoire: “yeu-cou”, “fonce-der”, “peu-grou”, “ri-pa”, “ké-blo”, “ouf”, “ries-con”, “zic”, “mine-ga”, “vénère”, “téma”, “bé-tom”, “gol-ri”, “yances-croi”, “be-gère”, “tè-je”, “ker-plan”, “caille-ra”

- polyglottisme:
   *anglais non-sensique
   * espagnol: “me cago en tu puta madre”, “que pasa?”, “puta”, “hasta la vista”, “familia”
japonais sur K-Ra
   * italien sur Millesime Team

Pleymo et l’impact pop-culturel:

Résolument méta, tout peut se résumer dans la phrase “Au sein des miens j’apprends par cœur, Follow The Leader, même si j’apprécie le système KoЯn, je ne partage pas le même flegme, car sous l’étiquette superstar, la vénère n’a plus rien à voir”. On a donc affaire à des petits jeunes, blancs, branle-couilles (en atteste l’identité graphique de la pochette), que d’aucuns pourraient accuser d’appropriation culturelle, mais qui cherchent la rupture avec leurs mentors US. D’où l’éparpillement foisonnant inhérent à l’album. En outre, des symboles de l’enfance, tutélaires ou défuntes, sont convoquées:

 - “musique à l’effigie Playmobil”, “Pleymobil dans ta gueule”

- “ça s’passe comme ça, c’est comme du Manga”

- “les Chipy Marlow finiront par rejoindre les Marlon Brando”

- le personnage de la marque de poudre de chocolat au lait Grosquik du titre Bigquick, jugé trop laid et rapidement transformé en le Nesquik que tout le monde connaît maintenant

- les films d’actions et le football pour mascus: “Un p’tit script ficelé paillette façon wood-holly / Putain d’pétarade comme Woo John, puis pas d’mascarade (...) / Chan Jackie d’l’Uzzi, Trapatonni d’ma que-cli d’bandits (...) / j’fais pâlir le score au Toto Calcio, j’ai pris gros pour Juventus Naples 3-0, depuis le quartier veut m’faire la peau, mec tu m’as pris pour Al Pacino… ?”

Cinégénique, (keçkispasse?) sollicite son auditoire dans l’exorcisme d’une peur de l’apocalypse, avec trois références (conscientes ou non):

- Strange Days, de Kathryn Bigelow (1995): “voilà l'atmosphère du nouveau millénaire”

,- Soylent Green, de Richard Fleischer (1973): “on bouffe de l’Homme sous vide et tout le monde dort”

- Akira, de ŌTOMO Katsuhiro (1982-1990): “A l’ombre de l’an 2000, c’est le dawa qui se profile”

Conclusion:

Galette très inégale s’il en est, avec ses relents puérils, ses incursions dans le malsain, et malgré des idiosyncrasies rappelant des accents à la KoЯn, Limp Bizkit, Slipknot ou Deftones, (keçkispasse?) ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même, soit un premier album foutraque: Pleymo tente, entertain, faillit sur bien des points (notamment sur le morceau-purge Soukaripa, ôde ridicule à la fumette qui plombe la fin de l’album), mais finit en trombe avec l’hymne au pogo T.N. et un vrai morceau réussi de hip-hop avec Millésime Team. Au final, avec leurs chansons, les Pleymo réussirent à marquer durablement ma musicophilie en me faisant me sentir socialement invincible et original à cette période transitoire de ma vie qu’a constitué mon passage du collège vers le lycée. 

Pour aller plus loin: www.a/grave/pas/mon/k@ de Watcha, feat. K-Mar de Pleymo (album Veliki Circus, 1999)

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