The Howling, de Joe Dante (1981)


 « In the name of God, it’s alive » Frankenstein (1931)

Découvert à 13 ans grâce à un cadeau d’anniversaire, un coffret VHS composé d’autres pépites (House de Steve Miner, 1986; Wes Craven’s New Nightmare, 1994), Hurlements détonait dans sa boîte des autres K7 qui le côtoyaient. Devenu une véritable pierre angulaire dans ma cinéphilie de par sa nature avant-gardiste, voire prophétique, c’est une expérience profondément impactante pour qui aura les clés pour apprécier dans toutes ses nuances cette proposition de cinéma de genre (d’un genre nouveau?).


« Help me step through the glass, Dorothy » Return to Oz (1985)

Toute la matrice du métrage se dessine dans le titre, qui apparait avec style et un sound design rugissant, avant que le quatrième mur ne vole en des éclats dont on ne saura pas s’il s’agit d’un miroir, d’un écran de cinéma ou de celui d’une TV – la subtilité réside dans l’idée que ce sera les trois. Les spectateur.ices se trouvent presque physiquement (définitivement sensoriellement) griffé.es par la déchirure titulaire initiale. Nous voilà ainsi plongé.es voire piégé.es dans de déstabilisantes nappes hertziennes dès les premières secondes de la diégèse, que d’aucuns pourraient qualifier de minimales.


Le public et son plaisir au cœur du propos

Partant, ce générique fait confiance en notre intelligence et nous indique que nous entrons dans un univers dont l’approche va être explicitement métatextuelle. Le travail photographique est proche du Giallo (avec ses éclairages de couleurs primaires: le rouge sanguinolent, le bleu crépusculaire/lunaire et celui des néons de la ville, le vert botanique).  Le score de Pino Donnagio, Hermannien, vénéneux, érotique, est réminiscent, et quelque part tributaire, de maîtres comme l’inévitable Alfred Hitchcock (Psycho 1960), mais aussi, plus confidentiellement, des contemporains comme Brian de Palma (Obsession et Carrie 1976, Dressed to Kill 1980), Dario Argento (Suspiria, 1977) ou encore George A. Romero (Dawn of the Dead, 1978). Cette intertextualité apporte donc une dimension ludique jouissive aux yeux du public.


« She’s watching movies »  

Au casting, la lead Dee Wallace (pas encore Stone) campe une incarnation si marquante qu’elle sera citée dans le néo-slasher Scream (Wes Craven, 1996): lors de la scène auto-réflexive du video-club, entre Stu (Matthew Lillard) et Randy le movie geek (Jamie Kennedy), une cliente surgit pour réclamer au vendeur où elle pourrait trouver « that werewolf movie with the mom from E.T. ». Par conséquent, « la formule est simple: TOUT LE MONDE EST SUSPECT » dans The Howling, qui porte avec respect et humilité l’héritage des décennies de films de monstres qui lui précèdent, dans une alliance entre tropes usuels (e.g. prologue proche du thriller avec présence d’un serial killer) et plaisir cinéphile (intertextualité), où il faudra se méfier même de ses proches, comme suggéré dans la scène de Scream (cf. supra).


Toute-puissance directoriale

Joe Dante, dans un geste précoce de démiurgie (qu’il saura parachever avec son chef d’œuvre suivant Gremlins en 1984), dresse un sommet de triangle non-manichéen, entre tueur.euse(s), protagoniste(s) et la présence arbitrale du créateur : plutôt que de mettre en retrait sa voix de futur auteur pasticheur de séries B, qui aurait vu s’opposer la monstruosité à l’humanité de manière stéréotypique, le réalisateur, avec ubiquité, originalité et d’un ton ironique, voire badin comme dans un flirt, se pose là avec avec nous dans une invitation à nous amuser avec lui de l’historiographie ; par le truchement d’un humour noir explosif, digne d’une déflagration cinglante, les dialogues (écrits par le duo de scénaristes John Saykesy et Terence Winkless¹ – et il y en a à la pêle, DES CLINS D’OEIL) s’allient à la mise en scène pour créer des séquences instantanément cultes qui confinent au génie. 


Explorer « the animal Magnetism »

Particularité: ce ne sont pas des adolescents qui sont mis en scène, comme on peut en trouver dans les films d’horreur populaires de l’époque. Mieux, Dante s’en démarque en abordant le sujet du désir sexuel adulte et illustre, avec un érotisme soft mais patent, une primalité bestiale défrichée par les archétypes junguiens, avec ses notions d’animus et d’anima. Plus qu’un simple film de genre, il devient ainsi une réflexion sur LE genre (au sens « gender studies » du terme) et il réinvente en profondeur l’esthétique du film de lycanthrope, qui avait pourtant connu des premières heures glorieuses dès sa popularisation en Europe (des productions Hammer comme The Curse of the Werewolf de Terence Fisher en 1961, ou en Italie avec La Luppa Mannara de Rino di Silvestro en 1976).


« Warlocks, Werewolves & Demons »


Malgré ses inspirations du vieux continent et son bagage psychanalytique, The Howling, acte cinéphile, peut être considéré comme éminemment américain. De manière intéressante, le genre est né à Hollywood, où l’urbanité de la mégalopole anxiogène de Los Angeles le dispute à la ruralité de la campagne californienne, allant des forêts, aux montagnes, jusqu’à l’océan. Avec ces décors naturels, Dante transcende tout ce qui a été fait auparavant: de thrilller poisseux et malaisant, où l’ombre préoccupante d’un serial-killer à fonction de faux-fuyant² est défié par pas moins qu’une Karen quintessentielle de banalité (une madame Tout-Le-Monde journaliste, hors du cadre d’autorité qu’aurait pu constituer un héros issu de la police), le film devient poreux et glisse vers la parabole politique: découlant des fantasmagories de l’horreur folk de tradition orale (comme dans The Fog de John Carpenter, 1980), on trouve une grande cohérence thématique dans The Howling:

  • avant l’agression de Karen, apparait en caméo le maestro Roger Corman, primordial auteur producteur (intertextualité)

  • à la suite de cela, notre héroïne innocente rejoint une communauté à la campagne (comme dans un passage du seuil vers l’aventure) ; cette communauté, sorte de délire new-age inquiétant (qui rappellera l’Americana duplice d’un film comme Deliverance de John Boorman, 1972) devient centrale, symbole d’hybridité de genre, caractéristique première des loups-garous

  • les scènes didactiques de la librairie sont portées par une grande gueule fétiche chez Dante (le toujours drôlatique Richard Miller) étayent la dimension surnaturelle de l’histoire ; ces scènes exposent esthétiquement avec clarté les particularités thériantropiques en jeu (pleine lune, « shapeshing », résurrection/régénération, balles en argent…).

  • au-delà du suspense et de l’épouvante, des questions fondamentales sont posées: ce que dans nos repésentations, cela fait d’être une femme, un homme (mais aussi ce que c’est d’être une femme, un mari au sens matrimonial) ; dans une industrie de plus en plus capitaliste et assoifée de sensationalisme, ce que le cinéma était en passe de devenir à l’époque, avec l’émergence de la pornographie (encapsulée par la scène dans le video-club X, filmée en POV à la shaky steadicam qui alternent avec des champs/contrechamps assassins)

  • toutes ces questions trouvent leur pendant visuel dans l’hallucinant travail de maquillage d’effets spéciaux de Rob Bottin, qui retravaillera avec Dante sur ses 3 projets suivants ³; Hurlements serait donc un film familial fait par des passionnés ?


Conclusion: “the things they do with special effects these days”  


Dans cet exposé partial, je voulais que vous ayiez un aperçu de la modernité révolutionnaire de ce film renégat, fait pour seulement 1 million de dollars, entre conte folk américain et horreur. Le grand soin apporté à toutes ses composantes atteste d’un amour inconditionnel de l’équipe pour le cinéma dans son ensemble. Je partagerai toujours cet amour avec elle.


¹ Winkless pourrait se traduire par “sans clin d’œil”


² ou harang rouge: procédé de narration qui vise la mise en place d’une ou plusieurs fausses pistes pour aboutir à un retournement final, non anticipé par le public, donnant un tout autre sens à l’intrigue.


³ The Twilight Zone (1983) ; Explorers (1985) ; Innerspace (1987)


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