It's Alive, de Larry Cohen (1974)
Jeudi 5 septembre, je découvrais pour la première fois le Forum des Images, 2 rue du Cinéma à Paris, après 12 ans sans m’y arrêter, moi détenteur d’une carte UGC Illimitée, qui pensais que le simple multiplexe des Halles devait être ma seule escale dans le dédale de la Canopée – il s’avère qu’avoir tort et ouvrir les yeux étaient possibles.
Ce jour était surtout ma première incartade lors d’un Festival Cinéma, ici le mythique Etrange Festival, organisé pour sa trentième édition. Même situation que pour son lieu hôte, j’avais ignoré l’existence de cet événement pourtant rayonnant jusqu’à quelques jours avant le lancement des festivités, mardi 3 septembre. C’est donc avec sérendipité et une excitation proche de l’infantile que je m’assis à 14h15 dans la salle 300 surchauffée pour découvrir mon premier film en festival: It’s Alive (Le Monstre Est Vivant), de Larry Cohen, produit en 1974.
Présenté par Stéphan Castang, réalisateur d’un premier long-métrage survivaliste Vincent Doit Mourir, qui avait fait sensation à l’Etrange l’an passé, l’objet de cette chronique est une curiosité personnelle à bien des égards. Plusieurs fois avais-je vu adolescent des visuels du monstre éponyme sanguinolent, de son berceau à peine éclairé dans une chambre dans la pénombre, au détour d’une jaquette VHS aperçue lors d’une chasse aux films cultes, menée avec mon père en Vidéo Club ou au magasin de déstockage. It’s Alive est un film qui m’avait alors paru mauvais, auquel je ne m’étais pas intéressé, car je n’y reconnaissais pas la patte d’un auteur familier. Son visuel paraissait pauvre, son propos trivial. Il ne figurait pas non plus dans la liste des 80 Grands Succès du Cinéma Fantastique dressée par Pierre Tchernia, livre de référence lors de mes explorations du cinéma de genre à l’âge du collège. Les désavantages tenaces des biais cognitifs et mon passif familial, ce rapport déférent à mon père en terme de cinéma (celui de ne voir QUE des soi-disant « vrais bons » films d’horreur) ont joué contre moi.
Ce côté précieux, que d’aucuns trouveraient snob, je l’ai laissé de côté lorsque récemment, je suis devenu davantage sensible au cinéma Bis, ou séries B, et aux pépites qui regorgent dans ces rayons imaginaires souvent négligés de la cinéphilie. C’est ainsi avec un intérêt vivace et un esprit libéré de mes préconçus que j’ai écouté Stéphan Castang nous présenter avec générosité son premier choix de Carte Blanche (principe de l’Etrange qui accorde à un.e invité.e de piocher dans le catalogue des films d’éditions précédentes dans une démarche de cycle). Plaisantant sur la nature « malade » de l’expérience que nous allions faire, Castang a confié avoir vu ce film pour la première fois à 12 ans, en VHS, seul. Cette proposition de partage était d’autant plus touchante que montrer des films à d’autres est un des actes cinéphiles que je préfère faire. Sans la pression d’avoir à choisir, It’s Alive est plutôt venu à moi, comme l’évidence d’un changement dans mon rapport même aux visionnages en salle, presque la naissance de quelque chose qui me dépassera tout le long du festival. En outre, imaginer Stéphan Castang regarder cette horreur dans les conditions évoquées m’a confirmé que tout du long, j’aimais les films bizarres, le body-horreur, les films qui ont de la gueule, souvent à portées politiques.
Psychanalytique mais surtout une charge violente contre la famille nucléaire, notion qui naquit pendant la Guerre Froide et qui s’est sclérosée lors du mandat de Richard Nixon, le métrage de Larry Cohen, artisan de la Blackspoitation, n’est pas un produit commercial.C’est une plongée immédiate dans les névroses d’un couple, dont le mari à la masculinité toxique cristallise l’ambiguité avec laquelle la naissance de ce deuxième enfant commence. Les meurtres initiaux à la maternité, courus d’avance, déplacent le suspense vers des rives familières¹, mais dans une relecture actualisée du mythe du monstre. Où se situe le curseur, lorsqu’assoiffés du sang de ce nouveau né, les hommes (le père, la police) se lancent à sa poursuite, alors que seule sa génitrice, et également son grand frère, agissent pour protéger sa survie particulière? Chez Mary Shelley, on peut lire la même réflexion que le monstre n’est pas un criminel comme les autres, plutôt un innocent que la société va tenter de mettre au pilori.
Le score sensationnel, moderne de Bernard Hermann apporte un cachet indéniable à la narration, et achève de symboliser que dans cette heure vingt-sept, Larry Cohen a une idée simple derrière la tête: provoquer un effroi glaçant, alors que l’action se passe dans la chaleur californienne de Los Angeles, ses éclairages blafards et ses gigantesques recoins obscures, propices au mystère. La poursuite de la progéniture a lieu en territoire non-confiné, sous le ciel ouvert d’une banlieue calme que la propension meurtrière du monstre vient malmener. Version sordide de ce que E.T. de Steven Spielberg aura de magique et de bienveillant, It’s Alive recèle d’une violence brutale, mais suffisamment d’auto-dérision et de grinçant pour emporter une adhésion qui se fonde sur la participation active d’un public effrayé autant qu’amusé par le cirque crescendo mis en place par une mise en scène ciselée. Le processus de voir/ne pas voir opère efficacement. Sans dévoiler davantage ce qui rend le film incroyable, je dirais que c’est une réflexion méta sur le genre horrifique par le prisme d’un trope éminemment organique, qui sera ensuite décliné dans des chefs d’œuvre comme Alien de Ridley Scott ou Eraserhead de Lynch.
En conclusion, rejoignant le genre du survival-horreur que Castang semble affectionner, It’s Alive se révèle être la pépite avant-gardiste, bombastique, hybride et horrifiquement jubilatoire que je ne soupçonnais pas qu’il était jusqu’alors. Culte, incontournable et à voir sans préjugé/er.
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