Animale, d'Emma Benestan (2024).
Vu au Festival du Film Fantastique de Strasbourg en septembre, Animale, en compétition, est reparti bredouille, mais mérite amplement l’attention du public, tant il regorge d’un intérêt tout original.
S’inscrivant dans la tradition ancienne du film de tauromachie, dans le cadre inhabituel de la Camargue, avec ses marécages et sa végétation éparse, Animale subvertit le genre du drame toreador, en y injectant une part non négligeable de mystère.
La protagoniste principale, campée par Oulaya Amamra, montrée dans son intimité, lutte avec un milieu masculiniste, patriarcal et misogyne.
Une question se pose alors à elle: comment se rendre maîtresse de son destin, alors que son intégration et sentiment d’appartenance ne tiennent quasiment qu’au fil fragile qui la lie à sa mère et à son meilleur ami gay, seules figures alternatives qui lui accordent un regard autre que ceux qui la rabaisse, voire qui la pousse au silence ?
Dans une ambiance sauvage, qui tient autant aux plans en décors naturels qu’à ceux sur des gueules patibulaires dont on ne découvre qu’à la fin du film les ressorts réels, se révèle l’ambiguïté inhérente à la tentative de dompter ce qui ne devrait pas l’être.
Dans un sol marqué à grands coups de sabots, se dessine l’antagonisme du carcan dont Nejma veut se sortir, avec sa hargne de s’épanouir, et la volonté d’abolir le cadre réducteur qui semblait la définir, voie vers une certaine transfiguration.
Dans une symbolique féministe limpide qui le dispute à un female-gaze d’une grande force évocatrice, où l’emploi d’une lumière naturaliste accentue davantage la dynamique vascillante entre nature immaculée et culture rugueuse, la parole, quasiment monopolisée par des hommes tous plus âgés que Nejma, creuse en sourdine entre les êtres un fossé dans lequel elle se retrouve coincée, silenciée.
Cette isolation, palpable lors de scènes nocturnes, avec cette Lune qui la hante jusqu’à la pousser à irrémédiablement se transformer, est le vecteur héroïque d’une survivante qui trace une trajectoire en conflit avec un monde dont la cruauté se verra exorcisée par le corps.
Son importance est palpable dans ce métrage physiquement éprouvant, proposition d’un genre nouveau, qui construit comme une énigme haletante un payoff qui, selon les sensibilités, ravira ou désappointra les spectateur.ices.
Ce deuxième film confirme dans tous les cas l’émergence d’une voix qui comptera dans cette niche du cinéma français que constituent les réalisations faites par les femmes, grâce à elles, pour elle.
Surtout, Animale recèle d’une universalité, d’une actualité primordiale, tout en sachant divertir un public en quête de sensations fortes.
Un grand film sur la mue et le courage résilient, à ne pas rater.
Correction et relecture : Kinowombat / QT
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