Rétrospective Étrange Festival 2025 (31ème édition) [1/2]
Hommage à son créateur et projeté en ouverture de l’Étrange Festival en 35 mm, dernier volet d'une trilogie de science-fiction animée, Intolerance III: The Final Solution est un space-trip qui met en scène une communauté errant dans le cosmos et qui tente de faire société.
Des tensions entre les différentes parties prenantes (citoyens, artistes, autorités) émergent de cette cohabitation claustrophobique, qui bifurque rapidement vers le chaos lorsque l’intime est envahi par la politique.
Les corps des personnages s'en retrouvent mutés, la faute à une impossibilité de trouver un consensus. Un couple en fraction avec leur environnement finira par trouver un oasis dans lequel ils essaieront d’établir un équilibre cosmogonique dont le-a spectateur-ice ne saura pas s'il sera viable ou non.
Animé à la main par les traits et les peintures d'un Phil Murroy malheureusement disparu cette année, ce court-métrage recèle d'un humour grinçant qui varie autour du pipi-caca et du sexe mature, formant une œuvre oxymorique. La satire sociale opère également par des gags physiques ou verbaux.
Le mélange des tonalités, l’inventivité de la bande-son et la dimension ciselée des dialogues qui le disputent à une beauté graphique emprunte de minimalisme permettent l’adhésion à cet objet résolument bizarre et méta, signe d'un grand élan vital de la part d'un cinéaste d'animation méconnu.
Posé mais furieux, drôle sans être cynique, pertinent politiquement même 20 ans après tout en divertissant, ce film visionnaire est une porte d'entrée intéressante dans l'univers de son auteur.
La Città Proibita, de Gabriele Mainetti (2025)
Pour la cérémonie d’ouverture de l’Étrange Festival 2025, on a droit à une invitation alléchante que celle de Gabriele Mainetti (présent ce soir-là et ami de longue date de la manifestation), avec son nouveau film La Città Proibita, mélange avoué de film d’arts martiaux et de comédie sociale italienne, fruit d'une cinéphilie référentielle et déférente.
Sur le papier, cela fonctionne: héritier des films hongkongais, de Fellini ou de De Sica, le réalisateur filme les combats avec virtuosité, prend le temps d’installer les enjeux dramatiques entre ses personnages de cultures différentes, à l'aide d'une bande-son d'une grande qualité, avec des acteur-ices qui font étalage d'un talent certain.
Mais ces excès de forme ne compensent pas un scénario basé sur le trope de la vengeance mais qui s'avère archi-conventionnel, créant un faux rythme et des ruptures de ton, qui sortent le-a spectateur-ice de l’intrigue. C'est malheureux, car les idées efficaces du film en théorie valent le coup d'œil, mais on finit rapidement par ne plus croire en les velléités des individus qui occupent l'espace-écran.
Balade sympathique ayant comme point de départ la Chine des années 90 avec sa politique de l’enfant unique, puis se jouant dans une Rome dont il est agréable de découvrir les terrains interlopes, le film ne fait rien de ses questions politiques, préférant des séquences de combats maîtrisées mais creuses de sens et des instants romantiques certes gracieux, mais dont l'aspect téléphoné, banal voire vu et revu empêchent tout suspense et empathie.
Tentative généreuse pour un cinéma d’hybridation des genres, ce métrage échoue dans son ambitieux dessein de façonner un objet culte, à cause de sa structuration bancale et de son écriture brouillone, mais saura charmer les amateur-ices de baston énervée, d’héroïne badass et de labyrinthe relationnel.
Une déception, d'autant plus que je n'ai toujours pas compris à quoi fait référence la Ville Interdite éponyme...
파과 (litt. fruit écrasé ; VI: The Old Woman with the Knife), de Min Gyoo-dong (2025).
Lorsqu'on loue le début de carrière d'un réalisateur, puis qu'on dénigre ses films davantage commerciaux (rom-com), et qu'ensuite on vous vend son nouveau thriller comme un grand film, une attente est créée.
Qui dit Corée et assassins fait qu'on pense immédiatement à Park Chan-wook. Les aspérités de la géographie en jeu dans cette histoire d'une vieille dame avec un couteau sont plutôt bien retranscrite. Les amateur-ices d'hémoglobine en auront pour leur argent. La réalisation n'est pas dénuée de trouvailles, permettant aux scènes les plus "actioner" d'en mettre plein les mirettes. Niveau sound design, on sent un gros travail d'immersion, nous ouvrant la porte de la psyché des personnages de manière appuyée.
Toutes ces qualités formelles énumérées constitue un forcing de ma part: oui, j'avais très envie d'aimer cette soi-disant pépite ; oui, elle contient des atouts indéniables. Hélas, on a affaire à ce genre de soufflé qui retombe très rapidement. Cela est dû à une narration à la chronologie fragmentée mais confuse, un scénario archétypal mais stéréotypé, une caractérisation des personnages survolée, ce qui au final crée cette sorte d'ennui qui vous fait gigoter d'impatience dans votre siège et facepalm de désespoir dans l'attente que la sauce prenne.
Pire, on a vite envie que le film finisse, mais sa durée de 2h10 n'agit pas en sa faveur. On peut reconnaître une envie de bien faire, notamment dans l'énergie déployée par les comédien-nes. Rien n'y fait.
Si vous avez deux grosses heures à tuer sans prise de tête, tentez l'expérience de ce film très imparfait mais dont je ne sens pas de prétention à devenir un chef-d'œuvre ; il a au moins cette humilité.
Longuissime, chiant, mais pas non plus si mauvais.
Welcome Home Baby, d'Andreas Prochaska (2025)
La scène introductive au film caractérise efficacement la personnage principale. Le ton et le style sont donnés d'entrée de jeu, puis on change de décors: d'un Berlin nocturne, on découvre la campagne autrichienne, ses forêts, ses chalets.
On pense à Cuckoo de Tilman Singer pour le côté survival au féminin. Mais on retrouve principalement les arcs éculés de Rosemeary's Baby. Le plus intéressant, c'est le conjoint de l'héroïne, photographe, qui capte par la prise d'images ce qui semble louche dans la nouvelle vie du couple: il semblerait qu'une malédiction les pousse à s'enraciner dans leur nouveau logement, pourtant censé être temporaire.
Le réalisateur fait tout ce qu'il peut pour nous inquiéter, et par ci par là, il y parvient. Mais le film est beaucoup trop désincarné pour convaincre: portant sur une thématique toujours intéressante (la maternité), le film en offre un traitement particulièrement cliché: on sent le virage folk-horror arriver de manière si précoce que malgré les jump scares faciles, on ne s'attache pas à des personnages écrits avec superficialité.
Là où le début du film semble indiquer que Judith va être badass, c'est tout l'inverse qui se produit. Je peux comprendre un propos dénonciateur du sectarisme, mais l'ensemble donne l'impression d'un téléfilm vite fait mal fait, qui n'a ni les qualités formelles pour en faire un bon elevated horror ni la clarté de ton qui favoriserait une adhésion du public.
Un ratage quasi-complet, dont on peut retenir une photographie travaillée, des acteur-ices qui font ce qu'iels peuvent et une bande-son efficace, malheureusement gâchés par un scénario ridicule et oubliable.
Bof.
Hold the Fort, de William Bagley (2025).
Film qui aurait mérité une diffusion à minuit pour respecter ce qu'il est, soit un moyen métrage amélioré, ce délire inspiré de Cabin in the Woods pour son côté anthologie des figures horrifiques transfère son intrigue dans une banlieue pavillonnaire où, chaque année, les résidents doivent survivre à l'invasion d'un bestiaire.
C'est con comme ça en a l'air: dialogues potaches, voire grivois dignes des pires films parodiques, effets spéciaux campy à peine plus qualitatifs que dans une série TV des 90's, scénario qui renvoie à un jeu vidéo beat them up (le principe le plus écervelé qui existe), suspense inexistant, patchwork de n'importe quoi d'action où les personnages pourrait très bien hurler " 'Murica" que ça n'en serait pas choquant.
Idéal pour poser son cerveau, ce Protéger la Forteresse est un pur film de genre à tendance midnight movie, devant lequel il ne serait pas exclu de se gaver de pop-corn ou de pizza. Facilement oubliable, il propose néanmoins le style de divertissement qu'on aurait bien aimé louer dans les années 2000 pour se payer une bonne dose de rires gras ineptes, ou faire des trucs olé olé avec son mec/sa meuf en ne regardant l'écran que d'un œil.
Un nanar.
Cadet, d'Adilkhan Yerzahnov (2024).
Habitué de l'Étrange Festival, où il présente chaque année au moins un film depuis de longues années, Adilkhan Yerzahnov, prodige et surdoué du cinéma kazakh, propose ici une de ses incartades les plus pures dans le cinéma d'horreur.
Usant du contexte glauquissime d'une école militaire castratrice et aliénante, le réalisateur conserve son style contemplatif, fait de plans fixes qui prennent le temps d'asseoir une atmosphère inquiétante, de champs/contrechamps dont le grain cache des fantômes, et puis ces pointes d'humour pince-sans-rire se moquant des figures d'autorité.
Au-delà de l'identité formelle bien reconnaissable de son auteur, Cadet est une variation surprenante autour de la maison hantée. N'épargnant personne, pas même la mère et son fils qui font office de protagonistes principaux, Yerzhanov pousse la réflexion, ou peut-être la méditation, jusqu'aux confins du supportable, aidé par cette caméra qui semble flotter comme les spectres furtifs occupant les lieux.
L'effroi, provoqué par la distance froide que le regard du cinéaste emploie, opère un envoûtement sur l'esprit du public, motivé à percevoir le fin mot de cette histoire déjà traité mainte et mainte fois sur le fond, mais jamais avec pareille liberté de ton et de style.
Une réussite.
La Tour de Glace, de Lucile Hadžihalilović (2025).
Accompagnée par l'équipe du film, la projection du quatrième long-métrage de son autrice en 20 ans n'a pas laissé de marbre.
On reconnaît sa patte, entre l'aqueu et le minéral, avec cette direction photographique léchée comme une longue embrassade empoisonnée, là où la poésie rencontre le macabre.
Clara Pacini et Marion Cotillard, livides mais brûlantes, incarnent un tandem qui s'attire, se révulse, dans une explosion en sourdine d'un désir interdit et refoulé.
Sorte de prolongation merveilleuse à son effort matriciel La Bouche de Jean-Pierre, le film de Hadžihalilović pèche par instants avec un propos méta confus et un rythme qui peut décontenancer. Mais comme toujours, les films de la cinéaste nécessitent patience, mère de sûreté ou de danger, avec comme récompense une force de payoff digne d'une tornade ou d'un torrent émotionnel.
On en ressort rincé, mais également fortifié d'être passé sous le rouleau-compresseur de cette expérience artistique absolument unique et bouleversante.
Kazakh Scary Tales, d'Adilkhan Yerzahnov (2025).
[Chronique à venir.]
Deux personnes échangeant de la salive, de Natalie Musteata et Alexandre Singh (2024).
[Chronique à venir.]
Delivery Run, de Joey Palmroos (2024).
[Chronique à venir.]
Le Bézoard, de Laure-Elie Chénier-Moreau (2024).
Bod Obnovy (VI: Restore Point), de Robert Hloz (2023).
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