la montana Sagrada, d'Alejandro Jodorowsky (1973)


Depuis que j'ai découvert le travail d’Alejandro Jodorowsky avec le documentaire sur son Dune avorté, j'ai vu El Topo (1970) et Tusk (1980) en salle, en sa présence. Sans pouvoir me targuer me sentir intime avec lui, n’ayant pas vu ses ouvrages davantage confessionnels et autobiographiques, je suis très attiré par l’expérimentateur qu'il est, par sa spiritualité, son mysticisme, sa psychomagie.

J'avais déjà essayé de regarder son film de 1973, The Holy Mountain. Je n'avais pas dépassé le moment de la rencontre entre l’Alchimiste et le voleur. Difficile d'entrer dedans. Ce n'était sûrement pas le bon moment.

Ça l’était le 11 novembre 2024, au Brady (Paris 10e), mon cinéma préféré. J'ai redécouvert le début du film d'un œil vif, nouveau. Je suis entré dans cette dystopie chaotique bariolée, peuplée de freaks, de militaires homicides, de musicien.nes en transe, de danseur.euses possédés, d’âmes perdues en quête de sens dans un monde intrinsèquement cruel mais esthétisé.

Les cadrages pleins d’harmonie symétrique, pour mieux le disputer à une violence glorieusement barbare ; la musique et le sound design expérimentant un rapport singulier à l’ouïe ; la récurrence des diverses dégoulinures buccales ingérées ou rendues ; ces déambulations dans des méandres fortement odorants ; ces plans sur les mains et ces doigts vernis de noir ou de blanc qui effleurent les dermes : il y a une mobilisation des 5 sens dans ce Jodorowsky qui m'a parcouru le corps pendant 2h.

Le bestiaire, impressionnant, filmé avec ces zooms/dézooms, et leur rôle symboliquement déroutant ; les costumes hors du temps, quoi que new age, aux allures de comic book de fantasy à l’orée d'une science-fiction rétrofuturiste ; la nudité crue mais sans sexualisation particulière, plutôt dans un regard contemplatif porté sur notre propre finitude ; ce départ pour une randonnée initiatique vers une liberté qui jaillira du fond de l'inconscient dans un twist final d'une dimension méta qui nous rappelle à la “poésie sans fin” d'une histoire maitrisée sur le geste même de conter des histoires: mon démiurge franco-chilien préféré réunit, avec un équilibre chancelant mais tenace, nature et culture, porté par une maturité comique entre l’étrangement inquiétant et le badin, dans un surpassement d'une psychanalyse stérile et obsolète. Pour son troisième film, qui inspire mon esprit à regarder en dedans pour mieux m’ouvrir au monde, l’artiste culte qu'est devenu Alejandro Jodorowsky à mes yeux me rend confiant dans cet art textuel qui m’est si cher et que j'essaie de partager avec vous à l'occasion de cette chronique. Merci de croire avec moi en toutes nos tentatives de cosmologie cinématographique.

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