Treebeard (🇦🇺): interview musicale # 6
Treebeard est un groupe de post-rock lorgnant vers un post-metal ethéré, entre amplitude, colère, ouverture au monde et connexion à la nature.
Signé sur le label indépendant Birds Robe Recordings, ils sont venus du pays “down under” pour participer à un concert¹ unique, à l’occasion de la 20ème édition du Dunk!Festival (Gand, 🇧🇪), le plus gros festival européen hors Grande-Bretagne pour les musiques étiquetées “post”, manière de dire au carrefour des genres.
Description par le festival:
« On est ravi-es d’accueillir Treebeard dans le line-up de cette année, un groupe qui nous a été ni plus ni moins conseillé par un fan lors du festival l’an dernier! On était là, assis-es à une longue table pendant l’after-party, et le nom de ces Australiens a jailli lorsqu'on s'est demandé qui booker l'an prochain. On a écouté leur musique, échangé quelques e-mails, et depuis, à travers notre label dunk!records et dunk!pressing, on a sorti leur deux premiers albums en vinyle !
Puisant dans le post-rock, le post-metal, le prog et le shoegaze, la musique de Treebeard comprend de longs morceaux dynamiques, dans un panel allant de l’apaisé à l’émotionnel, jusqu'au destructeur et à l’ire. Le groupe a publié leur premier album NOSTALGIA en 2021, recevant des éloges pour son approche novatrice du genre, ainsi qu'un sens atmosphérique puissant. En 2024, Treebeard a sorti la suite, SNOWMAN, à nouveau un album-concept épique, mais avec cette fois-ci une tendance davantage lourde et émotionnellement cathartique.
Depuis leur formation en 2019, Treebeard se sont de plus en plus révélés comme une force pionnière dans la future génération de musique ‘post’, jouant aux côtés de groupes incontournables, comme Russian Circles, Tangled Thoughts of Leaving, Solkyri, Khan, hubris, ainsi qu'une tournée australienne à venir aux côtés de God Is An Astronaut ! »
La fraîcheur de leur univers, le professionnalisme de leur show et l’humble ambition de leur musique m'ont donné envie d'en savoir davantage. Pat, le leader, a gentiment accepté d'échanger avec moi.
Cette interview est le fruit de notre discussion.
Pouvez- vous nous parler du groupe en dehors de la musique ?
On est quatre: moi, Pat (guitare), Josh (seconde guitare), Beau à la batterie et Rhys à la basse. On a tous un travail en dehors du groupe par obligation matérielle, pour payer le loyer, ce genre de choses [lol]. On préférerait vraiment pouvoir vivre de notre musique, que ça soit notre seul gig. On est des mecs assez normaux, je dirais: on aime regarder des films, jouer à des jeux vidéos, être créatifs, regarder le footy², traîner ensemble…
Comment s’est passée votre venue en Europe?
Malheureusement, ça n’était pas une tournée complète, notre seul concert a été celui au Dunk!Festival. Néanmoins, ça a été une expérience incroyable! Non seulement c’était génial de jouer devant un public aussi nombreux, mais aussi les gens connaissaient le groupe! Qu’ils verbalisent leur soutien au groupe à ce point-là, c’était inattendu. On a vendu tout notre merchandising ce jour-là, on a rencontré beaucoup de fans, et signé beaucoup de disques. C’était étrange que des gens de l’autre bout du monde nous connaissent, vraiment on s’est pincés pour le croire. Ça a été la preuve ultime pour nous indiquer de revenir faire davantage de concerts en Europe aussi vite que possible.
Qu’est-ce que ça vous a fait de jouer aux côtés de plus de 30 groupes au festival ? Quels sont les artistes du line-up que vous avez été particulièrement heureux de croiser ?
Cult of Luna et Mogwai sont des influences majeures pour nous, alors jouer avec eux, c’était clairement quelque chose de fort. Cela dit, il y a eu beaucoup d’autres groupes qu’on a été aux anges d’écouter, par exemple Slow Crush, Use Knife et Exxasens. C’était également super de voir d’autres groupes australiens jouer dans un autre contexte, je pense à Black Aleph (lire l'article dédié, ndlr), avec lesquels on est amis depuis un moment et avec lesquels on a joué plusieurs fois à Melbourne. On a vraiment passé un bon moment, une des meilleures expériences de festival, que cela soit en tant que musiciens qu’en tant que fans.
Selon Bandcamp, le groupe existe depuis plus de 4 ans. Comment vous-êtes vous rencontrés ? Qu’est ce qui a favorisé la création du groupe ?
On était d’abord amis, rapport à la colocation qu’on partageait. Mais ça faisait des années qu’on jouait dans différents groupes de la scène de Melbourne avant que Treebeard naisse. On se croisait à des concerts, on s’est mis à jouer ensemble. A la base, Treebeard est un projet solo dont je suis l’instigateur, puis les autres m’ont rejoint lorsqu’il s’est agi de faire des concerts. Le line-up n’a pas changé depuis.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de vos influences musicales ? Est-ce que vous vous inspirez également d’autres formes artistiques ?
Il y a énormément de crossovers de genres, qui vont de l’indie, au metal, du shoegaze au prog. Moi qui suis à l’écriture de l’essentiel de la musique, je peux citer principalement des groupes comme Mono, The Ocean, We Lost The Sea… Hors du domaine post-rock, ceci dit, j’aime Radiohead, Alice In Chains, Deftones, Lamb Of God, c’est vraiment un puit sans fond [lol] Y compris des pas de côtés par rapport au rock, par exemple Mark Lanegan, Damien Rice, Miles Davis… Je trouve ça sain d’avoir des goûts aussi diversifiés que possible.
Ci-dessous, les étiquettes que votre Bandcamp indique :
Est-ce que ce mélange et cette transcendance des genres sont le fruit d’une intention de votre part ? Est-ce que c’est venu naturellement ? Que pouvez-vous élucider de ces étiquettes ?
Oui, c’était clairement intentionnel, mais je ne saurais pas expliquer comment c’est arrivé. Je pense que ça réside dans mon mode d’écriture, je fais la musique que j’aimerais entendre personnellement, peu importe l'étiquette ou le genre. De nos jours, c’est difficile de trouver un son complètement original, mais je trouve qu’avec le mélange des styles ou des inspirations, c’est possible de créer quelque chose d’intéressant qui ne soit pas une simple formule éculée. On espère avoir un panel de morceaux variés tout en formant un groupe homogène. Ça conduit à des chansons qui sortent du lot, comme notre track la plus lourde Mountain of Madness, dont on espère qu’elle fait sens pour l’auditeur-ice dans le contexte de l’album.
Quelle est l’histoire derrière la pochette designé par Sarina Deere pour Nostalgia ?
Sarina a commencé son travail avec nous il y a longtemps, en 2019, quand elle a créé notre logo. Quand on lui a demandé de faire la pochette, je lui ai expliqué le concept global d’une méduse flottant dans un paysage et elle s’est appropriée l’idée. Ce que j’aime dans cette pochette, au delà de la vibe trippante, c’est que la méduse a été formée physiquement par agrégation de matériaux recyclables du quotidien. Ensuite, elle a utilisé Photoshop pour finaliser l’illustration, avec un aspect qui ressort bien et qui lui apporte du mystère, de l’étrange. Elle capture assez bien le concept de l’album, poussant à l’extrême l’idée d’une “nature qui reprend ses droits”
Qui a fait l’artwork pour Snowman ? Trouvez-vous que l’album est ancré dans la nature, un mélange entre ténèbres et lumière, comme votre musique ?
C’est aussi Sarina qui a fait l’illustration, à nouveau après que je lui ai donné une consigne simple. Je l’adore, à mon avis elle capte parfaitement la vibe de l’album, et épouse le concept, évoquant les explorations dangereuse en Antarctique comme une métaphore d’un voyage à l’intérieur de l’esprit. Tu dis juste en parlant de mélange entre ténèbres et lumière, espoir et désespoir. On essaie de saisir plusieurs états et plusieurs émotions chanson après chanson, et selon moi, cette pochette encapsule autant des sentiments positifs et négatifs.
Qu’est-ce qui vous a décidé d’utiliser un chant hurlé post-metal dans plusieurs morceaux, ce qui crée de la cohérence avec des instrumentations souvent lourdes ?
Après avoir écrit la musique, ça m’a paru logique d’aller jusqu’au bout du process et d’incorporer du scream. On est tous fan de metal, donc on était très inspirés et enthousiastes d’essayer de proposer des compositions plus lourdes. On avait à l’esprit que c’était un peu risqué, on a eu de l’appréhension que ça puisse rebuter les fans de notre album précédent ou les fans qui préfèrent quelque chose de purement instrumental et doux. Heureusement, la plupart de nos followers ont emprunté ce chemin avec nous, au point que pour certain-es, ce sont même devenus leurs morceaux préférés. C’est chouette qu’on puisse composer des types de chansons aussi variées, et que nos fans les apprécient autant que nous.
Parlez nous davantage des artistes en featuring dans votre musique (Brooke Kymberley sur Incognita, Saleeha sur Take Heart).
Ce sont deux musiciens qu’on a rencontrés à force de faire des concerts dans la région de Melbourne. Brooke joue dans un groupe appelé Fairtrade Narcotics, tandis que Saleeha est un artiste solo. J’ai su que je voulais vraiment incorporer des instruments davantage divers sur Snowman comparativement à l’album précédent, et aussi inviter d’autres artistes pour solidifier la dynamique de l’album. Brooke a vraiment dead ça sur Incognita et a apporté au titre une forme de vitalité, avec l’incorporation organique de la trompette avec les guitares. Je suis fan de Saleeha depuis longtemps, mais personnellement, j’ai toujours eu du mal avec l’ambient et le drone. J’ai l’impression que Take Heart opère comme un magnifique segment dans l’album, ce qui j’espère initie une réflexion pour l’auditeur-ice autour du voyage proposé par l’album jusqu’à ce passage-là.
On va totalement continuer les featurings sur les prochains albums.
Quel est votre processus d’écriture ? Est-ce laborieux ? Y a t-il des thèmes récurrents ?
C’est moi au départ de la plupart des chansons. Avec Nostalgia, j’ai écrit l’album entier moi-même, même les instruments que je ne joue pas. Pour Snowman, le processus a été davantage collaboratif, où j’ai écrit une structure générale, que j’ai proposée aux autres. Ensuite, on a fait des bœufs, en élaguant, en changeant et en ajoutant des choses jusqu’à ce qu’on ressente de la satisfaction. En y repensant, cette manière de faire a permis à l’album de devenir meilleur, davantage dynamique, donc pour la suite, on projette de collaborer de manière exponentielle.
Les thèmes varient entre les albums, étant donné que j’aime que chacun soit basé sur un concept ou des arcs narratifs. En général, ça tourne toujours autour d’une histoire qui est racontée, le début d’un voyage à travers la musique ou qui explore la santé mentale. Je pense que le prochain album prendra également cette direction.
Pouvez-vous nous donner un panorama des autres projets auxquels participent les membres du groupe ?
Je suis le seul qui ne suis pas dans un autre groupe à l’heure actuelle. J’ai joué dans d’autres groupes il y a quelques années, principalement de la basse dans The Deadlips (grunge psyché), de 2016 à 2020.
Mais les autres sont tous actifs dans d’autres projets: Josh et Beau dans Khan³ (stoner/heavy psych rock), ça fait des années qu’ils sont au top niveau. Rhys joue dans des groupes davantage lourds: Ghostsmoker (doom) et Who Bastard (hardcore/black metal).
J’aimerais bien jouer dans d’autres groupes, mais je trouve que mon investissement créatif pour Treebeard tarit mon énergie musicale.
Puisque vous êtes originaire de la région de Melbourne, quel est votre lien avec les Peuples Indigènes et la terre Wurundjeri ?
Aucun membre du groupe n’est aborigène. Mais on a grandi avec un certain degré (même limité) d’éducation autour de l’histoire australienne et la place des Peuples Premiers. Par conséquent, on est tous extrêmement conscients du passé horrible de notre pays et des injustices qui perdurent aujourd’hui. On a aussi conscience de la richesse et de la beauté de la culture indigène et des arts premiers. Je trouve que c’est important de les reconnaître et de les soutenir autant que faire se peut, en s’intéressant par exemple aux artworks aborigènes, leur musique, au cinéma, ou en apportant son soutien aux commerces et aux associations. En respectant leur aspect culturel, j’aimerais un jour incorporer des musicien-nes aborigènes dans notre musique à l’avenir.
Est-ce que votre musique est politique ?
Pas explicitement, mais je pense que ça s’inflitre de manière inhérente dans ce qu’on fait. Nostalgia, notamment, parle des questions environnementales, des profits liés aux guerres et à l’impérialisme, autant de choses qui m’inquiètent, peut-être encore plus à l’heure actuelle qu’à l’époque. Je sens qu’à l’avenir, il y aura des occasions pour moi d’explorer mes croyances politiques à travers la musique.
Trouvez-vous que votre musique est particulièrement australienne, ou est-elle plutôt universelle ?
Je ne sais pas, pour moi c’est dur de définir un son australien en particulier. C’est sûr qu’on a tous eu des influences de musiques australiennes en grandissant, comme Silverchair, Crowded House, Cog, Karnivool, vraiment tous les genres. Je pense que malgré le beau temps et les clichés autour de la plage, beaucoup de la musique venant d’Australie est lourde et sombre, il y a un vrai contraste. Ça s'applique à notre musique pour sûr.
J’aimerais bien qu’elle “sonne” australienne, tout en restant universelle ou quelque chose que tout un chacun peut apprécier, auquel on peut s’identifier, même si on ne comprend pas les paroles.
Quels autres groupes avec lesquels vous avez tourné recommanderiez-vous?
Juste pour en énumérer quelques un: Khan, Solkyri, Skin Thief, Myriad Drone, Sliknita, Soma Plume, DROID, Mushroom Giant, We Lost The Sea, Lily of the Valley et Saleeha.
Quels émissions TV vous ont vu grandir ?
On est devenus adultes à la fin des années 2000/début des années 2010, donc je dirais Game of Thrones et Breaking Bad. Je suis aussi fan de sitcoms britanniques, ma préférée c’est Peep Show.
Si votre musique était utilisée au cinéma, dans quel film ou genre de films ça serait ?
Le Seigneur des anneaux, ça me semble évident. Autrement, ça s’accorderait bien avec de la science-fiction, peut-être Blade Runner ou The Last of Us.
Pour finir, partagez votre top 3 de films qui selon vous devraient être vus par tout le monde.
Mes films préférés changent tout le temps, mais dans le désordre:
Oldboy (Park Chan-wook, 2003
Seven (David Fincher, 1995)
Le Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro, 2006)
[Merci beaucoup à Pat et Treebeard pour leur temps, leur partage et leur musique que je recommande fortement.]
Pour écouter le morceau Incognita (live): c'est par là sur ma chaîne YouTube.² le football australien (aussi appelé Australian Rules Football)
³ également programmé dans le line-up du Dunk!festival 2025
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