black aleph: interview musicale # 5
À l'occasion de leur tournée européenne et leur passage à l’incontournable Dunk! Festival 2025, j'ai pu m’entretenir avec le groupe Black Aleph.
Descriptif par le festival:
“Black Aleph est une formation expérimentale basée à Sydney/Melbourne, comprenant Lachlan Dale (guitares/effets), Peter Hollo (violoncelle/effets) et Timothy Johannessen (percussion). Sur leur premier album, le trio s’inspire de diverses sources allant du post-metal à la musique modale orientale. ‘Apsides’ (2024) contient à la fois des compositions et des improvisations qui voient les musiciens superposer des boucles en live, des rythmes ritualistiques et des variations dans un style doom-metal qui se dévoilent progressivement à travers leur performance. Le style de Black Aleph a été comparé au jeu de Justin Broderick de Neurosis et à Godspeed You! Black Emperor - cependant, il y a une qualité qui frise le spirituel dans leur musique, issue de leur instrumentation unique: guitare, violoncelle, et le daf iranien.
Le son est géologique - un terme approprié pour un album centré sur les concepts de mécanique orbitale, comme la notion de d’apsis, qui sont les points le plus et le moins distants entre une planète et son astre principal (soleil-terre-lune). Un second thème réfléchit à la relation entre la lumière et les ténèbres, ou plus précisément la différence entre des astres qui émettent de la lumière par opposition à ceux qui la renvoient seulement - et, au milieu, ceux qui l’obstruent.”
Entretien:
Depuis quand existe le groupe ? Décrivez pour nous les relations entre les membres ?
Tim au daf et moi à la guitare nous sommes produits ensemble pour la première fois à un évènement pour le Musée d’Art Contemporain de Sydney en 2018. A cette occasion, on s’est mis à explorer le mélange du daf et de la guitare, en utilisant des boucles et des effets qui allaient devenir le cœur de Black Aleph.
Peter Hollo au violoncelle et moi avons commencé ensemble en 2020, au moment où j’ai lancé le développement d’un projet solo à la guitare basé sur les boucles, l’improvisation et le drone. Au final, on lui a demandé si ça l’intéressait de faire quelques concerts avec nous, et il est resté!
J’admire Tim et Peter pour leurs talents de musiciens très investis, ainsi que pour leur grande intelligence en tant que personnes. J’accorde beaucoup de valeur à l’amitié que j’ai avec eux, et créer ensemble, c’est du bonheur.
Votre musique s’inspire de la physique. Avez-vous une formation scientifique, ou cela vient-il d’une inspiration purement musicale ?
ça, c’est plutôt le domaine de Tim. De manière générale, je dirais que dans le même temps que l’album explore des thèmes physiques et astronomiques, ce qui nous intéresse davantage, c’est la dimension spirituelle de ces notions. Ou on pourrait dire: on fait simplement le constat que ces domaines - le physique, le mathématique, et le spirituel - ne peuvent pas être séparés si on réfléchit à la nature du son et de la création musicale.
Quels sont vos groupes de post-rock préférés ? Pourquoi ?
Nos goûts musicaux sont tous différents mais compatibles: la musique classique d’Asie du Sud et de l’Iran ; l’ambient et l’electro ; le drone et le post-metal.
Je voue un amour profond pour la musique instrumentale plus généralement, car je trouve que le chant peut réduire le champ d’interprétation et d’expérience liée à l’écoute de la musique. L’instrumental parvient à davantage de subtilité et d’ambiguité.
Je n’écoute pas beaucoup de post-rock, mais mes albums préférés sont Every Red Heart Shines Toward the Red Sun de Red Sparrows (2006), l’album éponyme de This Will Destroy You (2008), et Panapticon d'ISIS (2014). Honnêtement, j’ai écouté ces albums tellement de fois depuis de longues années.
Que signifie le terme “ambit” (traductions possibles: cadre, domaine, étendue, ndlr), présent dans les titres de vos morceaux?
En gros, c’est une référence à un espace contraint ou limité où un objet agit sur un autre, et qui produit une “sphère d’influence”. Prenez comme exemple le lien entre le soleil et les astres dans son orbite dans le système solaire, et les mouvements d'ellipse qui découlent de l’action invisible de l’un sur l’autre. Il y a beaucoup de connexions abstraites là-dedans, etc. C’est aux auditeur-ices d’explorer ça si ça leur paraît intéressant.
Pouvez-vous expliquer votre utilisation du tambour daf iranien ?
Tim joue de la musique classique iranienne depuis très longtemps. En fait, je l’ai rencontré la première fois quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique classique orientale plus généralement. On s’est trouvés dans un parc à côté de l’Université de Melbourne et il m’a fait une démonstration de la sitar et du daf iraniens.
Pendant un moment, on a cru que le groupe allait prendre une direction plus clairement orientale - en particulier quand j’ai débuté mon apprentissage du Rabâb afghan - mais au final, on est partis sur un son plus lourd pour le groupe.
Dans Black Aleph, le daf prend effectivement la place de la batterie. Bien sûr, c’est un instrument relativement plus basique en terme de notes qu’il est capable de produire dans un même tempo. Mais cette limitation constitue un avantage. ça permet de parfaire les éléments essentiels ou de base d’une section rythmique et de créer de l’espace pour les autres éléments sonores. Il y a quelque chose de primal ou de primordial là-dedans.
Préparez-vous de la nouvelle musique ?
On a enregistré un album live à Small Pond à Brighton, au Royaume-Uni, pendant notre tournée cette année. Il contient du nouveau, ainsi que des réarrangements de notre catalogue existant. On est en train de poursuivre le développement de notre deuxième LP.
Qu’avez-vous ressenti en jouant au Dunk!Festival 2025 ?
C’était un sommet de ma carrière en tant que musicien. La communauté, le staff et le festival étaient tous incroyables. C’était inspirant et encourageant. J’espère qu’on reviendra!
Comment s’est passé le concert spécial à Paris ?
Paris est probablement ma ville préférée au monde. Ca a beaucoup compté pour moi de jouer dans une ville qui recèle d’une histoire si riche en art et en culture. également, on adore jouer dans des lieux atypiques, alors donner une représentation à l’Union de la Jeunesse Internationale, avec toute l’énergie de la ville qui vibrait derrière nous à travers l’immense baie vitrée, ça a été vraiment unique.
Trouvez-vous que votre musique est particulièrement australienne d’une manière ou d’une autre ? Pouvez-vous nous conseiller des groupes australiens ?
Oui, je pense que ce qu’on fait a des élements australiens bien distincts, en particulier notre processus étendu de composition. L’underground australien semble produire des groupes qui cassent les limites des genres, et qui produisent de la musique enracinée avec la terre, avec un sentiment d’urgence viscéral.
Je tiens un label, Art As Catharis, qui s’occupe de groupes underground australiens depuis 2011. En ce moment, je vous recommande The Necks (également programmé dans le lineup du Dunk!Festival, ndlr), Convulsing, HELU et Instrumental (adj.).
Êtes-vous investis politiquement ? Si oui, comment cela se traduit-il dans vos créations ?
Je ne peux pas parler au nom des autres membres du groupe, mais j’ai toujours été motivé par un sens de l’éthique et de justice. J’ai travaillé avec des associations humanitaires, et j’essaie d’avoir une conscience des efforts à faire pour donner lieu à des espaces qui se définissent moins par l’instrumentalisme brutal capitaliste - qui est la cause de la perte de beaucoup d’oeuvres d’art, de culture et de populations. Bien sûr, le génocide à Gaza nous préoccupe fortement.
Ceci étant, je ne vois pas ce que je fais en musique comme politique. Mon expérience dans la création musicale est une tentative de canaliser des émotions et de créer des atmosphères. ça vient d’un endroit qui précède les mots et les concepts.
Pensez-vous que votre musique s’accorderait bien en tant que BO de film ? Si oui, quels films ou quels genre de films ?
Je serais ravi que notre musique figure dans un film. Je sais que Tim adore l’oeuvre d’Ingmar Bergman, mais je nous entendrais bien dans un film post-apocalyptique et post-spirituel.
Merci beaucoup à Lachlan R. Dale pour son temps et ses réponses.
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