Back to the Future II, de Robert Zemeckis (1989)
[Spoiler Alerte]
Le film de Robert Zemeckis vient d’atteindre un âge adulte, 36 ans. À l’occasion de cette maturité (ou maturation), embarquez dans un voyage vers la galaxie rétro-futuro-méta de cette pépite de la fin des 80’s.
Mon rapport au film:
Je l'ai découvert en VHS enregistrée avant le premier volet, et quelque part, ce n'est pas grave, car c'est de fait une suite et un remake.
Éléments d’analyse:
Le film commence avec des bonnes nouvelles: Marty retrouve Jennifer, ses parents sont réconciliés et ont vu leur destin matériel s’améliorer considérablement.
Là où le premier volet traitait d'un voyage dans le passé, cette séquelle donne tout son sens au titre de la saga, en mettant en scène Doc, littéralement venant du futur avec la version améliorée de la Delorean, pour emmener Marty avec lui dans le retour vers le futur éponyme.
L’intro du film en mode récapitulation, suivi de ce générique en forme de vol dans la DeLorean, marque l’ambition assez folle de la part de Zemeckis et Gale d'aller au-delà du matériau de base.
Une édition VHS qui existe classe le film dans Aventure. Je pense que ça résume bien l'esprit du film, le plaçant de manière unique au carrefour des genres.
Doc figure sur l'affiche, alors qu'il est absent sur celle du premier film, hissant ce personnage à un statut encore plus solidement culte qu’auparavant.
“L'amitié profonde qui lie Marty et Doc est l'un des noyaux du récit” Romain Dubois (Rockyrama # 21, 2018)
“On voyage dans les complexités des paradoxes temporels, entre uchronies et dystopies sans s'y perdre un seul instant” (op. cité)
À la sortie du film y a 36 ans, 2015 constituait un futur de 30 ans en avant, et cette année où ce texte est écrit, 10 ans dans le passé. Ça n'empêche que les trouvailles technologiques pour 2015 apportent un cachet inimitable à cette histoire de science-fiction.
Le traitement apporté à la mode de la timeline de 2015 (tenues, accessoires) confine au génie.
La musique d’Alan Silvestri frise un côté militaire, qui appuie fort sur la dimension action du film.
Dans le futur de 2015, on assiste à l’apparition d'un suite imaginaire des Dents de la Mer (Jaws 19) en Holomax. À mon sens, cela souligne l'importance de Steven Spielberg et de sa société Amblin. Ça anticipe aussi en quelque sorte le cinéma en 3D qu'on connaît aujourd'hui.
Dans le Café 80’s, il y a une multiplication d’entités qu'on peut considérer comme iconiques (un jeu vidéo Wild Gunman, Michael Jackson, Ronald, Reagan, le Shah d’Iran, un Pepsi Perfect). Le film est alors à l’intersection de la pop culture et de la satire politique.
Biff y va de sa taquinerie récurrente envers la famille McFly: “Anybody home ? (VF: Y'a quelqu'un au bout du fil?)”. Par ce genre de détails, qui véhiculent le danger que représente un méchant qui cherche à faire imploser le foyer même des McFly, la saga tourne de manière prégnante autour de la notion de famille nucléaire, qui puise son origine historique dans les années 50, et qui s’avère brinquebalante au fur et à mesure des décennies (mariage malheureux, frère en prison, chômage).
Marty se fait harceler physiquement et verbalement par différentes occurrences de Tannen (“wimp”, "bozo”, “butthead” en VO). Comme un bon film c'est souvent un bon méchant bien écrit, Biff et ses versions constituent un élément-clé des intrigues.
Beaucoup de celles-ci tournent autour de l’almanach à la jaquette (1950-60) et fonctionne comme un fusil de Tchekhov, qui fait basculer le film dans quelque chose de méta.
L’ambiguïté de Marty, qui initialement souhaite tirer profit de l’Almanach, a selon moi vite été mise de côté pour éviter de rendre trop sombre un scénario censé plaire aux enfants.
Cette affiche “Surf Vietnam” pourrait symboliser une uchronie, où les États-Unis auraient gagné la guerre pour transformer le Vietnam en colonie (à la manière de Watchmen).
Hilldale (la banlieue où vivent les McFly) est défini comme un “un coupe gorge (VO: a breeding ground for criminals”) par la police elle-même. Ceci est appuyé par l’écriteau tagué “the address of success/sucks (traduction: c'est de la merde)”. Dans le même genre, une de mes répliques préférées est énoncée par une des policières, qui suggère à Jennifer: “Dans le futur, soyez prudente”. Cet humour noir est absolument délectable.
Michael J. Fox se retrouve travesti et joue 4 rôles (Marty 1985, Marty Jr. 2015, Marlene 2015, Marty 1985-55). C'est une des grandes réussite du film.
Le personnage Needles joué par Flea des Red Hot Chili Peppers me fait beaucoup rire. On le retrouvera à la fin de la saga à un moment charnière pour Marty.
Jennifer (celle de 1985) se plaint que son soi du futur a fait un “mariage minable”. Puis, Lauren, la mère de Marty, explique que son fils a eu un accident de la route avec une Rolls-Royce, le privant de sa capacité à devenir guitariste professionnel. Le film semble suggérer une forme de déterminisme et d’atavisme (puisque George, le patriarche, a été un winner en triomphant de Bill dans le 1955 du premier film, ça sera le lot de son fils de devenir le loser que son père n'a pas été, précipitant sa famille entière dans la même hess qu'ils ont connu dans le 1985 du premier volet, et dont ils se croyaient sortis grâce aux changements historiques apportés par Marty en s'étant immiscé dans l'équation de la rencontre avec ses parents).
Doc craint un “paradoxe cataclysmique et la destruction totale de l’univers”. C'est une sorte d’énoncé performatif, car le film prend cette direction. Le langage tient ainsi une place très importante dans l’efficacité du film.
Dans le Mini Rockyrama # 1 de novembre 2015, Bob Gale confiait qu'il est difficile de changer l'Histoire avec un grand H. C'est plutôt enfoncer une porte ouverte que de dire ça. Pourtant, dans la timeline post-apocalyptique de 1985, on voit une rétrospective de Biff qui rencontre des célébrités, ayant effectivement changé l'histoire. Les incrustes du personnage dans des images d’archives (procédé que Zemeckis reprendra dans Forrest Gump, ndlr) est une des meilleures trouvailles du film.
Alors que depuis le début du film Jennifer est dans un coma perpétuel, la privant de toute agentivité, Doc suggère à Marty de la “convaincre que tout ceci était un rêve”. Je trouve ça un peu cringe. Heureusement, Marty ne donne pas suite à la suggestion de Doc.
La scène où Marty, arrivé dans le 1985 uchronique et dystopique, essaie de rentrer dans la maison qu'il pense être chez lui, mais il commet sans le savoir une “home invasion”, puis se fait maraver par une famille de noirs. C’est pour moi une super manière d’aborder la question de droits civiques aux États-Unis, même si ce n'est qu'une scène sans grande conséquence.
L'ancien proviseur indique à Marty que “le lycée a brûlé dans un incendie y'a 6 ans”, soit en 1978. Cela apporte de la texture au voyage temporel et fonctionne comme une poupée-gigogne, imposant à Marty de retourner à ses origines (timeline du premier film), afin de sauver autant ses parents que les structures (ici, l’ecole) qui permettent à la société d'aller bien.
Arrivé dans la temporalité cauchemardesque de 1985, Marty s’exclame: “on s'est trompés d’année!” Or, l’erreur n'est pas tant dans le voyage temporel, mais réside plutôt dans le fait que par la faute même de Marty en achetant l’almanach, le mal a triomphé et a accédé au pouvoir, un peu comme dans une dystopie de John Carpenter. En ce sens, le dirlo est assez juste en appelant Marty “un sacré tocard”.
On assiste ensuite à une représentation de l’enfer: Biff est devenu un mélange de Donald Trump et de Tony Montana (version De Palma), Lauren est arrachée l'alcool et la chirurgie esthétique, George a été assassiné par Bill en 1973, Doc est interné. Le film parachève encore mieux son délire méta, en montrant une scène d’Une Poignée de Dollars de Sergio Leone, inaugurant la confrontation/le duel entre Marty et Biff, avec la fameuse punchline: “Party’s over, Biff”.
Signe qu'entre le 1955 originel et la timeline d'un Biff devenu tout puissant avec l’almanach, ses hommes de main sont habillés comme des loubards de l'époque. Ainsi, Back to the Future II est un film visionnaire et encore actuel sur une certaine forme conservatisme.
Pour conclure, à noter la dimension grammaticale de la saga: le jeu avec les particules to (vers ; direction) dans le titre, et from (de, du, depuis ; origine) dans la punchline finale de Marty à Doc ("Je suis de retour du futur") cimente une cohérence exceptionnelle à une trilogie absolument impeccable à tout niveau.
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