Interview musicale: Winter McQuinn & Acacia Pip @ The Message (Troyes), samedi 29 mars 2025.

The Message est un café-disquaire troyen qui propose des showcases réguliers depuis de nombreuses années. L’espace scénique, dans le prolongement direct du bar, permet une proximité fort bienvenue avec les artistes, qui jouent des sets intimistes et confidentiels. Le public curieux peut également profiter d’une entrée libre et gratuite.

Samedi 29 mars 2025, trois musicien-nes australien-nes ont pu proposer une combinaison de deux genres très chill: le psych-folk. Hot Apple Band (projet solo de Jack, un Sydnéen) a ouvert la soirée. Ensuite, le duo Winter McQuinn & Acacia Pip, de la région de Melbourne, a présenté leur premier projet collaboratif, l’album Recently I’ve Been Missing the Colour Green, sorti en novembre 2024.

J’ai pu m’entretenir avec elleux.

Ruby - Vous avez été en tournée¹. Pouvez-vous nous résumer votre voyage et nous dire quels ont été vos moments-phares ? 

Winnie - On était à Nantes juste avant ce soir, c'était génial. On a joué à Londres, Leeds, Portsmouth, Birmingham et Nottingham. J'ai préféré Londres, mais j'ai aussi aimé Leeds, parce qu’on a joué dans une librairie, c'était très fun

R. - Leeds, la ville industrielle ?

W.  - Oui.

Acacia - Mais ça faisait moins industriel que ce à quoi je m’attendais. Ça donnait l’impression qu'il y a là-bas une forte population d’étudiants à la fac’. 

R. - Des jeunes, de milieux variés ? 

W. - Oui, il y avait différentes générations.


R. - Selon votre Bandcamp, vous avez commencé à concevoir ce projet pendant la COVID. Considérez-vous que la pandémie vous a aidé créativement ? Comment avez-vous collaboré pendant ces restrictions ? Était-ce en distanciel ou en vrai ?

W. - C'est vrai que ça a aidé ma créativité. J'ai commencé à enregistrer des choses par moi-même pendant la pandémie, ça ne m’était pas arrivé avant. On vit ensemble, donc évidemment, on avait le droit de faire de la musique ensemble dans la même pièce.

A. - Oui. Cela va de soi que c'était nul, de ne pas pouvoir faire d’activité avec des ami-es ou d'autres groupes de personnes. Mais quelque part, ça laissait beaucoup de temps. J'ai l'impression que Winnie a davantage que moi réussi à se sentir créatif et inspiré par toute cette folie (développement de ses compétences en mixage, en enregistrement et en production), et ensuite, on a composé des chansons ensemble.


R. - Certaines de vos inspirations (e.g. T-Rex, Kevin Ayers) viennent-elles de vos aîné-es, de vos ami-es, de proches, ou les avez-vous découvertes par vous-mêmes, mû-es par la curiosité ?

W. -  Non, je m’inspire de la communauté musicale melbournienne, qui a beaucoup de groupes super. [Il se tourne vers Acacia] Tu m'as orienté vers un grand nombre de musicien-nes que j’écoute maintenant.

A. - Idem pour toi. De plus, on a tous les deux des parents musicophiles. Un de mes parents joue de la musique. J'ai grandi dans un grand bain musical et en allant souvent à des concerts. Ça a été un bon début. 

W. - Mes parents sont musicien-nes. J'ai grandi dans la musique, avec des choses davantage expérimentales que ce qu'on fait nous. 

R. - Cela explique t-il votre goût pour les supports physiques? 

W. - C'est juste fun. C'est toujours agréable d'avoir des objets physiques. 

A. - Comme un rappel de ce que tu as créé. Bien sûr, c'est audio, mais comme ça, tu peux tenir un truc dans la main, tu peux y ajouter du visuel. 


R. - Votre musique est délicate et light². Votre sensibilité à la délicatesse et à la notion de lightness découle-t-elle d’éléments extérieurs (e.g. la lumière du soleil), ou s’agit-il plutôt de quelque chose d’impondérable³ (les émotions, le vécu, les souvenirs) ? 

W. - Davantage quelque chose d’intérieur que d’extérieur. Mais j'aime également écrire d'après ce qui nous entoure au sens naturel du terme.


R. - Vous avez visité la sépulture de Nick Drake. Avez-vous choisi cette destination, ou était-ce plutôt l’occasion de faire une pierre, deux coups?  

W. - Ça me trottait dans la tête pendant la tournée en Grande-Bretagne, et j'en ai parlé avec notre ami Myles Newman, de Birmingham. Il nous a dit que ce n’était vraiment pas loin de la ville. Et on disposait d'une voiture, alors on s'est dit: “C'est parti”. 

A. - Cela dit en passant, ça a été un bonus à notre voyage. On avait décidé de faire un petit détour dans notre itinéraire, parce qu’on avait vraiment envie de voir ça. C’était à deux pas.

R. - Je vous conseille la tombe de Jim Morrison quand vous serez à Paris. 

A. - Mes parents m’y ont emmenée quand j'ai visité Paris avec eux, j’étais gosse (onze-douze ans). Ça m'a marqué profondément. Quand tu as douze ans, tu as l’impression de comprendre, mais pas tant que ça. 

W. - Notre amie Lenah Senior a fait une chanson qui parle de rendre visite aux tombes des rockstars.

A. - Celles de personnes que tu tiens à visiter, qui sont importantes et inspirantes. 


R. - Sur votre page Bandcamp, vous rendez hommage aux Peuples Natifs et à la terre Wurundjeri, l’actuelle région de Melbourne. Vous avez l'air d'avoir du respect et la conscience d’où vous venez. Ressentez-vous de la culpabilité quelque part, ou s’agit-il d'un positionnement politique qui vous dicte qu'il faut parler de ça? 

W. - C'est plutôt la seconde partie. C'est important de ne pas laisser la culpabilité blanche vous empêcher de vous éduquer. L’Australie a connu une colonisation très récente. C'est pourtant la terre de la population la plus ancienne.

A. - Culturellement, en particulier pour les personnes avec les idées les plus progressives, celleux qui veulent montrer leur préoccupation et qui essaient de se montrer respectueux-ses envers nos Peuples Premiers et nos Natifs, la reconnaissance du territoire est devenu quelque chose de commun. Il y a un certain nombre de Conservateur-ices qui ont l’habitude de se plaindre de ça, mais pour la majorité de la communauté à laquelle nous appartenons, c'est une question de respect. C'est nécessaire de continuer de parler de l’histoire de cette terre, de ce qui s’est passé, de la colonisation. C'est important de reconnaître le territoire sur nos pages Bandcamp, ou à l’occasion de nos concerts. C'est une action possible qui s’inscrit dans un cadre plus large. 


R. - Il y a une élection au niveau fédéral prochainement. D’après vous, quels sont les problèmes qui affectent l’Australie depuis un moment ? 

W. - Le financement de nouvelles stations-essence. Notre Premier Ministre a l’habitude de dire: “souciez-vous du réchauffement climatique, des énergies renouvelables”, mais ensuite il finance tout un tas de combustibles fossiles. 

A. -  Cela a aussi à voir avec le respect envers les communautés des Peuples Premiers Indigènes, parce que leur culture et leur spiritualité sont tellement liées à leur rapport à la terre et à la nature, et nous les Blancs en tant que colonisateurs sommes en train de détruire l’environnement. Nos responsables politiques ne font pas suffisamment à cet égard. Cela est cohérent avec les problèmes que pose cette élection. De même, notre Premier Ministre s’est montré mou du genou par rapport à un vote qui portait sur le génocide en Palestine, ce qui est décevant. 

W. - Cela a un lien avec le génocide en cours imposé aux peuples des Premières Nations. 

A. - Nous avons ce qu’on appelle “les Générations Volées”. Récemment, les cours d’histoire et les écoles en Australie n’ont pas donné satisfaction en ce qui concerne l’enseignement de la vérité derrière l’histoire de notre pays, l’histoire du génocide, même à destination des enfants.  

R. - Ici, en France, ces questions sont souvent évoquées à la fin des manuels d’anglais, comme s’ils étaient un sujet annexe.

A. - C’est intéressant d’apprendre que ce n’est pas très connu en dehors de l’Australie, ce qui est dommageable. Mais je ne suis pas surprise.


R. - Votre musique est très cinégénique. Elle marcherait bien dans un film de Wes Anderson. Si vous deviez choisir un morceau de votre catalogue à mettre dans un film, ça serait lequel ? 

W. - C’est vrai que parfois, j’aime écrire avec un angle cinématique en tête. 

A. - On dirait Crack The Plates, parce qu’on a trouvé les riffs en pensant à Into The Wild³. 

W. - C’était une inspiration quand on a composé.

A. - [se tourne vers Winnie] Tu as été inspiré en pensant à ce personnage qui décide de sortir de la société capitaliste.


R. - Si votre vie était adaptée en film (un documentaire biographique, une fiction), qui en serait le réalisateur ou la réalisatrice ? 

W. - J’adorerais Wes Anderson. Cela serait très fun. Simplement parce que je l’aime bien.

A. - Entièrement d’accord ! 


R. - Il y a quelques minutes, Hot Apple Band et moi parlions de Hartley, cœurs à vif. Pendant votre enfance, quels étaient vos programmes TV préférés ? 

A. - On avait des programmes australiens très marrants, comme Les Twist, qui parle d’une famille qui vit dans un phare ! 

W. - C’est un peu magique, un peu déjanté. Mais j’ai l’impression personnellement d’avoir grandi avec des émissions américaines, comme Newport Beach ou Saturday Night Live.

A. - J’adorais regarder David Tennant dans Docteur Who. Je regardais un sketch avec lui  et Catherine Tate⁴. J’ai dû regarder ça un nombre incalculable de fois sur YouTube en grandissant, j’allais à l’école et je me suis mise à dire: “J’m’en balek”, en essayant de parler comme ça, ce qui était gênant. Parfois, je me rappelle faire des trucs de ce genre, et je me fais la réflexion: “Mais qu’est-ce que je pouvais bien chercher à faire?”

Bref ! C’est mon côté vulnérable. [Acacia sourit]

[Fin de l’interview, transcription et traduction de l’anglais par Ruby] 

Winnie et Acacia : merci beaucoup pour cette interview !


¹ Troyes était la dernière date de leur tournée européenne dans ce dispositif, avant que Jack, Winter et Acacia ne rejoignent le néo-zélandais Joe Ghatt en tant que musicien-nes backup pour sa propre tournée.

² polyphonie du mot anglais light: légère et lumineuse

³ je précise: traduction un peu fantaisiste du mot anglais weightless (léger et qu'on ne peut pas peser)

⁴ Sean Penn, 2007

⁵ qui campe une écolière, Lauren Cooper, caricature d’une Chav, dont la phrase iconique est « I’m not bovvered »

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