Cinquantenaire de la Guerre du Liban - Quelle(s) mémoire(s)?
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Le Liban dans la Tourmente, de Jörg Stocklin & Jocelyne Saab (1975)
Dans un assemblage organique de talking-heads et de prises de vue sur le vif, Jocelyne Saab & Jörg Stocklin dressent le panorama d'un pays en proie à l’explosion crescendo d'une guerre civile confessionnelle à la suite de l’attentat d'un bus en avril 1975.
Datant de cette même année, dans l'immédiat de cette crise pourtant en gestation depuis belle lurette, le documentaire prend le pouls de la situation à cet instant historique et significatif de basculement. Il donne aussi à voir la géographie d'un Liban petit de par sa superficie, mais gigantesque de par son foisonnement spatial et socio-culturel.
En sollicitant la parole, souvent politique, mais également intime, de citoyens issus de catégories variées, le film est un aperçu authentique, voire actuel, de la réalité libanaise et des particularismes patents à l’époque.
Subsumant in situ ce que le pays connait depuis 50 ans, dans une mise en scène dynamique qui, malgré l’intervention régulière d'une voix off, fait confiance à l’intelligence des spectateur-ices, Le Liban Dans La Tourmente est une invitation subtile à la vision, une proposition forte pour aborder avec autant de justesse que possible notre rapport à l’Histoire, à la mémoire, et, in fine, une illustration franche de l’absence de sens qui caractérise les conflits de guerre.
Highlight: les passages où on voit l’Imam Moussa Sadr, personnalité politique controversée mais agissant pour la paix et l’œucuménisme, porté disparu de force 3 ans après le tournage du documentaire.
Petites Guerres (VO: حروب صغيرة), de Maroun Baghadi (1982)
Revenant aux premiers temps de la guerre civile libanaise qui explosa en 1975, ce thriller politique est unique en son genre.
Réalisé par Maroun Bagdadi (auteur hélas disparu bien tôt), il donne à voir les destinées croisées de 3 personnages principaux (deux rivaux et une femme), dans un triangle qui entrelaçe conflit national et devenirs intimes.
Pleine de maestria, la mise en scène, avec ces plans harmonieux, proches d'une danse intemporelle, est bien à même de faire ressentir les explosions violentes de la guerre, en sourdine ou hors-champ. La puissance incarnée des acteur-ices, ainsi que la musique entêtante et voluptueuse de Gabriel Yared, accompagnent les spectateur-ices pendant ces 108 minutes au ressenti senso-temporel beaucoup plus étendu, tant les circonvolutions narratives et la densité des dialogues qui innervent avec orfèvrerie le film confinent à l'étourdissement.
Un film exigeant de par sa gravité, mais très vibrant, qui transcende l'horreur en beauté, comme seul le 7e Art peut le réussir. Chavirant.
Al-Sheikha (ou Frihetsligan), de Leyla Assaf-Tengroth (1995)
Presque ¼ de siècle avant le misérabiliste mais intéressant Capharnaüm (N. Labaki), le cinéma libanais s'était déjà intéressé aux chemins de traverse empruntés par des enfants, forcés à un mode de survie inique en temps de guerre.
Récit initiatique désespéré mettant en exergue la volonté puissante de l'éponyme Sheikha, cheffe de file du "Gang de la Liberté" (titre français du film), Al-Sheikha oscille entre larçins, resquille, débrouille, surpassement de la toxicité des adultes et de leur intolérable démission face à leurs responsabilités, sans compter celles du système.
La jeune fille et sa cohorte d'ami-es errent dans et sur les rives d'un Beyrouth en chantier, laissé en lambeaux par un nombre plus élevé d'années de guerre que ne l'est l'âge des protagonistes, filmés avec une verve et une véracité quasi-documentariste, proche du choc permanent, mais non dénuées d'un humour parfois ironique, en tout cas qui interpelle.
De tout cela découle un métrage courageux, sans concession, qui imprime la rétine et le cœur, dans ce qu'il ose montrer cette sorte d'oublié, peut-être ce tabou, que constitue la classe des enfants dans la peinture cinématographique de conflits complexes, comme celui de la guerre civile libanaise.
Césure entre le temps du conflit per se et sa soi-disant interruption, l'œuvre de Assaf-Tengroth n'est pas là pour nous divertir, mais réussit l'exploit de nous attacher à des petits êtres ruinés par la cruelle conjoncture de leur pays. Très amer mais d'une douceur que n'aurait pas reniée A. Varda.
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