The Immigrant, de James Gray (2013).
Introduction:
Je trouve que l'immigration, abordée dans sa définition première comme l'arrivée dans un pays de personnes étrangères, est une thématique trop peu visible au cinéma. A l'heure où des gens meurent dans des conditions inhumaines lors de leur tentative de traversée, l'intérêt semble plutôt porté sur les conditions de vie des immigrés lorsqu'ils s'établissent quelque part que sur les événements immédiats qu'une telle transition peut impliquer. James Gray, réalisateur soucieux de la question des communautés depuis le début de sa carrière, s'intéresse dans son dernier film à cette question;
L'histoire:
Dans les années 1920, une jeune femme polonaise qui a récemment débarqué à New York accepte l'aide compromettante d'un directeur de "cabaret", pour que sa sœur et elle ne soient pas expulsées.
Ça vaut le coup parce que:
sous couvert de reconstituer Ellis Island, ses bureaux de douanes, son infirmerie, et le New York du début du siècle dernier, James Gray construit une histoire romanesque intimiste faite de nuances. A la manière d'un drame classique, le rythme méditatif du film permet d'observer avec patience les personnages dépeints par petites touches. Les origines et les motivations de chacun sont autant exprimées par les visages, les gestes, les postures, que par les mots. Loin des stéréotypes et de tout héroïsme, les personnages débordent de la complexité de l'âme humaine, que la caméra sonde avec pudeur et sans aucun jugement. Le dualisme bien/mal, grosse ficelle cinématographique, n'apparait jamais, de sorte que le spectateur ne sait pas très bien sur quel pied danser: qui sont ces gens qui s'aiment, se fourvoient, se déchirent? L'action, diurne comme nocturne, est confinée dans des intérieurs ou dans des souterrains. Comme pour répondre à ces espaces suffocants, le jeu de lumières, de clair-obscur, réminiscent de l'école caravagiste, exorcise la vision d'un nouveau monde fantasmé et pimpant, et y transporte l'atmosphère décadente du vieux continent. Ce renversement géographique des valeurs s'opère alors au plus profond des personnages: un américain "moderne" (que Joaquin Phoenix interprète avec virtuosité) se bat pour l'amour, comme pour un désir ancestral, alors que l'immigrée polonaise "traditionnelle", campée par Marion Cotillard, lutte pour la liberté de pouvoir vivre indemne avec sa sœur. Tour à tour classique et baroque, le film reste sans cesse sur le fil d'une rupture subreptice, jusqu'au dénouement, où, dans la pénombre d'une quasi-prison, dans l'antichambre du rêve américain, la lumière de la vérité jaillit, à la manière d'une rédemption luisant faiblement sur la torche de la Liberté.
Commentaires
Enregistrer un commentaire